Plus que l'amour lui-même

55. L'air

       Une semaine de plus s'est écoulée depuis les révélations de Drogo. La sorte de bulle psychologique que j'avais créée, et qui me permettait de ne penser qu'à mon petit-ami et à mon désir pour lui, a éclaté. Un soir, installée sur le fauteuil du salon de Sarah, éclairée par une bougie, j'ai fondu en larmes. J'ai réalisé, ou plutôt intégré tout ce qu'on me racontait, et je me suis rendue compte d'une chose terrifiante. Si je pouvais tout effacer, Mystery Spell, mes pouvoirs, les sorcières, les vampires, je le ferais.

       Quoiqu'il en soit, je travaille plus que tout et essaie de me garder à l'écart de ces idées tout sauf bénéfiques dans la situation actuelle. Je dois me concentrer sur mon apprentissage précipité de la sorcellerie, et de ma survie non garantie. Je ne me suis pas encore réellement interrogée sur la question de ma future mort ou immortalité. Le choix que je dois faire est terrible, et j'y suis forcée. Elle a tout l'air d'une de ces questions que l'on se pose entre amis, dans la cour de récréation, entourée d'autres « tu préfères... ». Cependant, cette fois, cela se réalisera, et je n'aurais pas de retour en arrière.

       Je ne pense pas qu'une vie entière suffirait pour prendre cette décision. J'ai terriblement besoin des avis de Nicolae, Peter, Drogo et même Lorie. S'ils avaient eu le choix, en sachant tout ce qui est advenu par la suite, auraient-ils pris la décision de devenir des vampires ? Non. Bien sûr que non. Drogo a un passé torturé, Peter ne cesse de pleurer son humanité, Nicolae reste bloqué dans l'ancien temps et Lorie est coincée dans un corps d'enfant depuis plus de 100 ans. Non. Bien sûr qu'ils auraient préféré mourir.

       Alors pourquoi est-ce que j'hésite ? L'immortalité ne m'a jamais fait rêver, mais uniquement parce-que je pensais devoir la subir seule. Je ne garantis pas que j'aimerai Drogo pour l'éternité, mais j'aurais les Bartholy pour m'épauler et des centaines de vampires que je pourrais rencontrer. Eux n'ont pas eu le choix de se transformer... mais certains doivent forcément ne pas le regretter ? Je pourrais vouer cette vie éternelle à de bonnes causes... voyager partout dans le monde, éradiquer les injustices, apprendre toutes les langues et peut-être intégrer un coven ?

   - Ella ! s'écrie Sarah en entrant dans le salon. Ah, je me disais bien que tu étais réveillée.

        Je soulève faiblement ma tête, qui était avant posée sur un des coussins du canapé. Je dors dessus depuis mon arrivée ici. Mon amie a bien insisté pour passer une nuit sur deux dans son lit, mais j'ai refusé.

   - Il est quelle heure ? je grogne en me frottant les yeux, sortant définitivement de mes pensées.

   - Neuf heures, elle sourit en tapant ses mains l'une contre l'autre.

   - Tu as cuisiné quelque chose ? je demande en remarquant les petits jets de poudre blanche.

   - Je t'ai fait des crêpes ! elle sourit. Je vais aller à la fac, ça ne te dérange pas ?

   - Bien sûr que non, je dis en me relevant soudainement affamée, il faut entretenir les apparences. Et puis je ne vais pas te demander de foutre ton avenir en l'air tout autant que le mien.

   - Bon appétit ! elle dit tristement en détachant son tablier.

       Je la remercie et entre en cuisine, pour dévorer de délicieuses crêpes. Je suis de plus en plus déprimée. Le poids qui repose sur mes épaules m'épuise. Et voici une nouvelle journée d'étude non-stop seule qui s'annonce.

   - Tout s'est bien passé ? demande Sarah en entrant dans l'appartement.

       Je relève mes yeux du grimoire que je lis, qui parle des liens étroits entre le feu et le monde des morts. Je hoche la tête et me reconcentre, tout en buvant dans un café sur-dosé pour me garder éveillée. Je dors terriblement mal sur ce canapé. Mon dos est habitué au matelas et aux draps de soie luxueux du manoir. Minable.