Jour 17 (3)

65 5 1
                                    

En tout cas, je garde le silence, ne voulant pas le provoquer encore plus et l'entendre dire d'autres menaces, j'ai déjà assez peur de ce qu'il pourrait faire comme ça. De son côté, Nolan, ou plutôt Nazariy, continue ses soins, méticuleux. Et sans prévenir, après quelques longues minutes de silence, il détache les chaînes du plafond. Avec un mélange de surprise et d'épuisement, je m'effondre au sol dans le bruit de chaîne que j'entraîne dans ma chute. Même si je tiens le choque, je me sens affreusement douloureuse et faible. Mes épaules me font un mal de chien ayant l'impression qu'elles ne sont plus censées revenir dans une position normale et mon dos me brûle alors que les sotchs qui maintiennent l'énorme pansement qui doit me prendre quasiment tout le dos me tirent la peau. Il entreprend alors de me libérer les mains et les pieds de mes fers. Mais une fois que je ne suis plus soutenue par eux, je m'écroule, à bout de force.

— Tu peux te rhabiller maintenant, m'invite-t-il en arrachant l'élastique qui retient mes cheveux attachés.

Malgré cette liberté, je reste inerte au sol, me demandant si je suis encore capable de bouger. Puis au prix d'un grand effort, révélant des douleurs absolument partout, je me redresse lentement alors qu'il me regarde patiemment, un brin moqueur.

— Si tu as besoin d'aide, n'hésite pas, remarque-t-il alors que je me mets à peine debout, tanguant.

Je l'ignore complètement et à petits pas, je m'avance vers mon tas de vêtements, bien plier près du mur. Je m'aide d'ailleurs de se dernier pour me pencher les récupérés. Puis je m'habille encore plus lentement, d'abord le pantalon, craignant tout particulièrement la rencontre de mon t-shirt avec mes épaules et mon dos. Mais n'ayant pas d'autre choix, je finis par le mettre, très lentement, serrant les dents alors que tout mon corps hurle de douleur. Même mes yeux me piquent.

— C'est bon ? demande-t-il.

Je hoche la tête et il s'approche de moi et me donne un coup de poing sans prévenir. Déstabilisée et sonnée, je m'effondre au sol.

— Comme ça on ne dira pas que j'ai mal fait mon job, remarque sa voix au loin derrière le voile de mon inconscient.

Je le sens me relever, mais je ne sais pas s'il me soutient ou s'il me porte. Je sens seulement le rythme de pas et la voix de la femme qui m'avait amenée ici au loin. Soudain, j'atterris sur une surface plane, allongée. Même si j'entends beaucoup de voix, je n'ouvre pas les yeux, au contraire, je serre encore plus les paupières alors que les voix amplifient le rythme qui bat dans mon crâne. Je ne sais pas pendant combien de temps je reste là, mais au fur et à mesure les voix deviennent plus claires et je reconnais entre autres celles de Gwen... Je suis retournée en cellule. Et alors que j'essaye de comprendre ce qu'il est dit, j'entends un cri aigu.

Tétanisée, je me redresse d'un bon alors que la tête me tourne. Je le regrette instantanément, sentant des hauts le cœur monté. Mais ces derniers passent très vite quand j'entends le second cri qui cette fois me semble affreusement familier. Cherchant à comprendre, mes yeux arpentent la pièce, voulant savoir d'où vient ce cri qui résonne dans tous les murs. Et soudain, je vois. Ou plutôt je ne vois pas. Il n'y a pas Bulle. Son cri. À vous glacer le sang. La souffrance. Impossible. Mais j'ai déjà trop bien l'image, la toute petite et frêle Bulle, dans ma position quelques minutes ou dizaines de minutes plus tôt, en train de se faire torturer par Nazariy. Un monstre.

— Où est Bulle ? Demandé-je totalement dans le déni.

Je refuse d'admettre cette réalité, ce n'est pas possible. Sa présence ici et déjà contestable, mais là torturer ? Pourtant, tout est là. Les preuves sont sous mes yeux. Son absence. Sa marque à la main. Son cri. Les bandages. Ce n'est qu'une enfant. Il faut faire quelque chose.

Je n'ai même pas besoin d'avoir la réponse de qui que ce soit, leur regard dit tout. Ils se sont résignés à la laisser souffrir. Je me lève de mon lit d'un bond, ne prêtant attention ni à la tête qui me tourne, ni à la douleur qui me déchire de dos et je me précipite sur la porte. Je sais qu'elle est fermée tout comme la porte de ma précédente prison était fermée, mais ça ne m'empêche pas de tambouriner à mort, à m'en faire mal à la main.

— Eirene, ça ne sert à rien, remarque Gwen semblant vraiment désolée.

En entendant ce nom, je me fige, énervée. Tous les autres prisonniers m'ont rejoint, mais aucun ne semble vouloir intervenir, m'entourant, m'intimant presque d'arrêter.

— Ne m'appelle pas comme ça. Et il faut aider Bulle !

— Lindsay, ça ne sert à rien, insiste Terrence en me retenant par le bras alors que j'allais recommencer à tambouriner.

Je le fusille de regard, frustrée.

— Lâche-moi, prévenné-je même si je sais qu'il est sûrement encore plus fort que moi, même après des années emprisonnées.

— Laisse tomber, remarque Joakím. Ils ne t'entendent pas de toute façon. Tu ferais mieux de te reposer.

Me sentant vraiment coincer entouré par ces cinq inconnus, acculée dans un coin de la pièce, je cède, n'ayant vraisemblablement pas le choix. Au fond de moi, je garde clairement de la colère et de la frustration, échafaudant déjà des plans foireux pour essayer d'intervenir malgré leur remarque. Face à eux, je ne peux rien faire, ils m'en empêcheront, mais peut-être que plus tard j'y arriverais.

Cédant pour cette fois, je retourne m'installer sur le lit, tenant de faire abstraction des cris de Bulle qui m'arrachent les tympans et me fendent le cœur. Et je suis impuissante. Malgré la douleur qui me déchire toujours le dos, je donnerais beaucoup pour être à sa place et lui épargner ce supplice. Je supporterais. Mais je ne peux pas laisser faire ça. Je ne sais pas comment ils ont fait pour perdre leur humanité au point de laisser faire ça depuis je ne sais pas combien d'années, mais je ne serais pas comme eux.

J'ai l'impression de rester ainsi une éternité avant que ça s'arrête enfin. Je ne comprends même pas comment Nazariy ou qui que ce soit soit capable de torturé une enfant.

Je continue d'attendre, muette, alors que les autres ont repris leur conversation comme si de rien n'était. Ils me dégoûtent. Soudain, la porte s'ouvre enfin sur la métisse et Bulle, inconsciente dans ses bras. Un cauchemar. La femme referme la porte derrière elle, portant toujours le petit corps inconscient de Bulle, puis va la poser délicatement sur le lit, comme une mère pourrait le faire avec son enfant. Furieuse, je me lève et me précipite sur elle. Je sais que je ne peux pas faire grand-chose, mais je veux lui faire mal juste parce qu'elle fait semblant de prendre soin de Bulle et qu'elle l'emmène quand même se faire torturer. Mais je n'ai même pas le temps de lever la main sur la femme que je sens mes paupières s'alourdir, épuisée et je m'effondre, endormie.  

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant