Nuit 19

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Une main me saisit. Paniquée, je me redresse, avec l'impression de sortir dans d'un cauchemar violent et que mon tortionnaire venait de me saisir. Triste réalité. Le cœur battant, j'essaye de me calmer. Et la main se pose à nouveau sur moi. Cette fois, je retiens un cri, effrayée, avant de comprendre que cette main est beaucoup plus petite et délicate que celle de Nazariy.

— J'ai peur... murmure une toute petite voix d'enfant.

Bulle. Depuis mon arrivée, je ne l'ai jamais entendu prononcer un autre son qu'un cri, j'ai même cru qu'elle ne savait pas parler. Et je ne l'ai encore moins vu m'approcher, mais elle est bien là. Je devienne à peine sa petite silhouette au bout de sa main, au pied de mon lit.

Face à sa confession nocturne, je garde le silence, ne sachant pas si « moi aussi » est une réponse appropriée.

— Je suis là.

Comme si c'était un signale, je la sens monter sur la planche qui me serre de lit, toujours sans me lâcher et elle vient se blottir contre moi. Instinctivement, je la serre dans mes bras, essayant de lui transmettre tout mon courage, ma sympathie, tout ce que j'ai. Nous restons dans cette position si longtemps, que je crois qu'elle s'est rendormie. Impossible de savoir ce qui la réveiller, mais je ne le devine trop bien. Et même si je ne peux pas beaucoup l'aider, si au moins je peux la réconforter, être utile.

— Ton nom quoi est ? demande-t-elle soudain en s'exprimant difficilement pour une fillette de son âge, prouvant sans doute qu'elle ne se serre jamais de sa voix.

— C'est quoi mon nom ? vérifié-je en ne sachant même pas ce que je vais lui répondre.

Je suis même assez étonnée que personne ne lui ait dit depuis mon arrivée quatre jours plus tôt. Ça m'aurait sûrement évité de répondre à cette question particulière. Entre l'importance d'y répondre, c'est la première fois que Bulle s'approche et s'adresse à moi, je ne veux pas la décevoir, et mon incapacité à me placer au niveau de mon identité. Mais deux identités mon été volé, je ne suis plus Eirene depuis des années et maintenant, je ne peux plus être non plus Lindsay. Mais il faut quand même que je fournisse une réponse à Bulle, c'est important.

— Elle. Je m'appelle Elle, répondé-je en vitesse.

C'est idiot, mais c'est la première chose qui m'est venue en tête. Je n'ai jamais vraiment eu de surnoms, encore moins de surnoms qui ne sont pas associés à Lindsay. Et Elle, c'est le seul qualificatif qui m'est venu en tête et qui n'est pas connoté. Maintenant que je l'ai dit, je confirme ce choix. Personne et tout le monde à la fois et quand même un peu moi. Elle.

— Et toi ? lui demandé-je par politesse sachant déjà la réponse.

— Bulle. Je... m'appelle... Bulle, répète-t-elle, semblant découvrir cette tournure de phrase. Tes parents tu connais ?

— Est-ce que je connais mes parents ? Non, affirmé-je en la sentant validée. Je ne les ai jamais connus.

Impossible de savoir si elle a tout compris, mais en tout cas, elle hoche la tête vigoureusement, convaincue.

— Moi non plus. Personne connaît tes parents ?

— Si je crois, ils étaient peut-être même amis avec Gwen, Terrence et peut-être d'autres ici.

— Tu demandes veux ?

— Non je ne veux pas savoir.

— Pourquoi ?

Je garde le silence, c'est une vraie question, pourquoi je ne veux pas savoir ? J'ai peur de ce que j'apprendrai ? Peur de ce que j'ai perdu ? Peur d'être déçu ? Peur de les détester encore plus ? Peur de m'attacher à eux malgré tout ? Impossible de savoir, mais une chose et sûr, je fuis totalement le sujet. Je n'ai même pas osé demander aux autres prisonniers s'ils étaient dans les Epa ou les Akra. Et puis de toute manière, ils n'ont rien cherché à me dire non plus, comprenant que je ne veux rien entendre. Maintenant, avec cette petite enfant dans les bras, je ne sais pas quoi lui dire en étant confronté à mes failles. Impossible de lui mentir et impossible de lui dire une vérité que je ne connais pas.

— Je ne sais pas.

— Je veux savoir moi. Ma mère rien dit. Je sais rien.

— Ça doit être dur.

— On pareil. Tu peux savoir. Moi non.

— Ce n'est pas si facile. Tu aimerais savoir des trucs sur tes parents, même si c'est négatif ? Mauvais ? S'ils te déçoivent.

— J'aimerais savoir.

— Tu es courageuse.

— Toi aussi.

Je garde le silence, ne voyant pas les choses comme ça. À bien des égards, je suis lâche, affreusement lâche. Bien plus que Bulle qui veut quand même savoir. Elle est née en prison, sa mère est morte, emmenant avec elle les secrets de sa paternité, et malgré tout, elle veut savoir, malgré tous les risques de déceptions. Risque de déception qui son sûrement bien plus élever que moi. Après tout, je sais quelques bribes d'informations sur mes parents, je sais même qu'ils me ressemblent sûrement beaucoup. Et malgré tout, j'ai peur et je fuis le sujet.

Dans mes bras, Bulle bâille.

— Dors, je veille sur toi, promis-je.

C'est sûrement la seule promesse que je peux lui faire : veillé sur son sommeil. Elle bouge un peu, se blottissant encore plus contre moi je sens son souffle chaud de plus en plus lent alors qu'elle sombre dans les bras de Morphée.

De mon côté, je ne me rendors pas totalement, pensant trop à la force de cette petite fille qui dégage de la chaleur contre mon corps, qui est en vie, qui est forte, envers et contre tout. Et pourtant, c'est un si petit être fragile. J'aimerais tellement la protéger, empêcher quiconque de lui faire le moindre mal. Elle ne mérite pas de souffrir. Elle mériterait d'être loin de tout ça.

Et en pensant ça, je repense au comportement de Pandora avec moi... Elle a toujours voulu me protéger, m'éloigner au maximum des enfers que je pouvais vivre, elle aurait tout fait pour me préserver. Elle n'y est malheureusement pas parvenue, mais elle a essayé de toutes ses forces. Et même si je lui en veux de m'avoir menti, même si je m'en serais peut-être sortie différemment si elle m'en avait parlé, je la comprends. Si je n'étais pas arrivée trop tard, j'aurais fait la même chose pour Bulle.

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant