Jour 18 (1)

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Je me réveille avant l'allumage des lumières cette fois. Sans doute que mon corps était trop épuisé pour me créer une insomnie. Je n'ai pas la moindre idée si les autres sont réveillés ou pas, mais je n'entends aucun bruit en tout cas. Alors je reste moi aussi silencieuse, dans le noir complet, attendant que le temps passe. Et espérant aussi qu'il ne passe pas. J'avoue que j'aimerais bien rester dans ce calme et ce silence pendant longtemps. Ne pas affronter la réalité. Ainsi allongé dans le noir, je pourrais presque croire que je suis ailleurs et que rien de tout ça n'est réel. Presque seulement parce qu'il faudrait faire abstraction de la planche de bois qui me serre de lit et la douleur qui me tire le dos. Mais sinon, je pourrais être plongée dans une maison silencieuse avec les autres membres qui respire lentement. C'est bien mieux que la réalité et encore mieux que ce qui risque de se passer. Je ne connais pas encore le fonctionnement de cette prison et j'avoue volontiers avoir évité de poser la question à qui que ce soit hier, je pense que je préfère rester dans le déni. Je découvrirais les réponses bien assez tôt.

Après un temps qui me semble infini, j'ai même commencé à me demander, entre autres dizaines de questions, si je n'étais pas justement en pleine insomnie, la lumière s'allume enfin. D'un côté, c'est le soulagement, m'arrachant de mes questions sur ce qu'il va se passer, sur ce qu'il se passe et sur comment vont mes proches. Et d'un autre, c'est sûrement la perspective d'une nouvelle journée. Et j'avoue que celle-là n'est pas réjouissante, elle m'a l'air trop similaire à celle d'hier, silencieuse, douloureuse et totalement déprimante.

Malgré tout, je me relève, ayant bien l'intention de l'affronter cette journée. À commencer par discuter avec Nazariy si j'ai la chance ou la malchance d'être emmenée près de lui. Il faut absolument que je le résonne, pas pour moi, pour Bulle. Je ne peux pas laisser faire ça. J'ai beaucoup observé cette petite hier et elle est totalement anéantie en permanence, elle souffre plus que nous tous et elle a peur de tout. Elle a déjà passé une grande partie de sa journée recroquevillée sur son lit, inerte et le reste de temps elle s'est à peine mêlée aux autres, ne prononçant de toute manière aucun mot et restant plus cachées derrière eux que vraiment avec eux. Et même si c'est sûrement trop tard pour vraiment la sauver, je n'arriverais pas à assister à ça impuissante toute ma vie.

Comme la veille, la porte s'ouvre quelques minutes après l'allumage de la lumière et la métisse m'appelle. Avec de l'appréhension, je me lève, sachant au moins à quoi m'attendre aujourd'hui. Et puis par certain côté, c'est totalement égoïste de penser ça, mais je préfère être à moitié inconsciente pendant que Bulle se fait torturer. Une fois à l'extérieur, nous traversons le couloir jusqu'à la salle de torture et cette fois, je ne me laisse pas attirer par le mur d'armes, de toute manière je sais bien que je ne peux rien tenter. Je reste donc au centre de la pièce, inerte tandis que la porte se referme, m'enfermant avec Nazariy.

— Alors Eirene, tu ne me dis même pas bonjour ? demande-t-il toujours aussi courtoisement malsain.

— Ne m'appelle pas comme ça.

— Lindsay alors ? m'interroge-t-il alors que je le fusille du regard. Je vois, je ne suis pas le seul à avoir des problèmes identitaire. Comme quoi on se ressemble toi et moi, j'ai toujours pensé qu'on pourrait vraiment bien s'entendre. Déshabille-toi qu'on ne perde pas de temps. Je dois t'appeler comment alors ?

J'obéis, mais je ne réponds pas à sa question, ne sachant pas quoi répondre, j'ai peut-être rejeté les deux étiquettes qui m'ont été collées, mais je ne m'en suis pas rajouté une nouvelle. À quoi bon de toute manière ?

— Nous ne sommes pas pareils, refusé-je.

— C'est ce que tu crois, mais tu pourrais être exactement comme moi si tu le voulais et le simple fait que tu aies créé l'Antarsía le prouve. Peut-être que tu penses avoir écouté des voix plus sages que moi, mais moi je te réponds qu'elles sont bien moins efficaces, nos places aujourd'hui le prouvent. Alors, prends-moi pour le méchant, mais de nous deux, je suis celui qui fait changer les choses et un jour, tu me remercieras sûrement.

— Peut-être que ma révolte est moins bien, mais au moins, je ne torture personne, encore moins des gosses !

— Oh tu t'arrêtes à des détails, soupire-t-il en me conduisant jusqu'aux chaînes en voyant que j'ai fini de me déshabiller. Il y a des enfants qui subissent bien pire et bien plus tôt, continue-t-il tranquillement en m'attachant dans la même position que la veille. Et tu oublies que pour ça, je suis seulement la main, pas le cerveau, si je ne m'en chargeais pas, d'autres prendraient ma place et je suis certain qu'ils ne seraient pas tous aussi gentils.

— Tu n'es qu'un monstre.

— Et toi tu me fatigues, à croire que tu ne veux pas comprendre.

— Qu'est-ce que Bulle t'a fait ?

— Rien. Et toi non plus d'ailleurs. Au contraire, vous me fascinez, à deux doigts de faire certaines petites expérimentations si tu vois ce que je veux dire, affirme-t-il en me caressant lentement la hanche.

La simple présence de sa peau contre la mienne me dégoûte, mais ses paroles me révulsent. Je n'arrive même pas à bouger. La simple pensée qu'il soit là et qu'il puisse faire ce qu'il veut. Tout ce qu'il veut. M'effraie plus que tout. À tout moment, il peut décider de mener ces « expérimentations ». Et personne ne me sauvera. Jamais.

— Je suis sûre que certaines personnes auraient aimé connaître vos capacités bien plus tôt et que des enfants comme vous seraient très utiles... d'un point de vue stratégique, continue-t-il tranquillement. Crois-moi, si ça ne tenait qu'à moi, ni toi ni elle ne seriez ici.

Je ne peux pas m'empêcher d'entendre ces paroles comme celle du monstre qui tente de se faire passer pour un gentil. Il peut me répéter autant qu'il faut qu'il ne fait qu'exécuter des ordres, ça ne change rien au fait qu'il les exécute quand même, il choisit de le faire. À mes yeux, ça le place au même niveau que les décisionnaires eux-mêmes. Peut-être même plus haut. Mais je ne lui dirais pas ça, je préfère entendre son déni plutôt que supporter sa colère.

— Tu n'es définitivement pas très bavarde, me reproche-t-il en s'éloignant de moi, ayant fini de m'attacher. Tu étais plus marrante avant d'arriver ici franchement.

Je dois me retenir de signaler qu'il était plus gentil avant que je n'atterrisse ici aussi. Mais soit il va mal le prendre, soit il va me sortir son discours de « ça pourrait être pire, certaines personnes souffrent plus ». Et face à mon silence, il ne sort pas de parole cinglant non plus, attachant tranquillement mes cheveux avant de s'occuper de défaire le bandage qu'il m'a fait la veille dans le dos. Apparemment, il ne veut pas que je le garde. Et le sentir tirer sur les scotches ravive clairement la douleur qui s'était un peu estompée au cours de la nuit. Et une fois qu'il a terminé, il s'éloigne, toujours tranquillement.

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant