Jour 104 (1)

48 4 0
                                    

Il y a quelque chose d'étrange. Nous l'avons tous remarqué. Ce matin, Hortense est venue chercher Bulle en première, comme régulièrement, elle l'a sûrement conduite à Nazariy, nous l'avons d'ailleurs entendu crier. Un long cri de douleur. Et depuis plus rien. Aucun son ne nous parvient de l'extérieur de là cellule. Il y a juste eu un cri qui m'a semblé plus long et effroyable que la moyenne. Ça doit faire cinq minutes maintenant, peut-être un peu plus et j'ai profondément peur, ce n'est pas normal de ne pas entendre Bulle, on l'entend toujours. Et je ne peux pas m'empêcher d'imaginer le pire, tout pourrait être arrivé, je le sais, je le sens. Ne tenant pas en place, j'arpente la pièce, me faisant un sang d'encre, il n'y a pas de raison, mais qui sait les vraies intentions de Nazariy et ce qu'il a pu faire à Bulle. Normalement, les Áídios l'empêchent d'être totalement libre, mais les ordres peuvent très bien avoir changé.

Soudain, sans prévenir, une explosion a lieu, me donnant l'impression qu'une onde de choc vient de balayer la pièce. Dans la violence de l'explosion, je me fais projeter et j'atterris lourdement sur le sol froid, sonné, les oreilles bourdonnantes. Je mets plusieurs secondes à comprendre ce qu'il se passe et surtout à voir la porte qui a volé en éclat sous le choc. D'ailleurs, seuls les murs semblent avoir résisté à la puissance du choc, tout le reste est détruit, les lits, les portes, les lumières, tous. Au plafond, il ne reste qu'une ampoule, vacillante, éclairant à peine la pièce. Je me redresse, encore étourdie par le choc, incapable de déterminer d'où il vient. Autour de moi, Gwen, Terrence, Joakím et Aaliyah se redressent, hébétés, mais vivant.

— Faut qu'on se tire de là, affirme Terrence, n'hésitant pas une seule seconde sachant sûrement que c'est notre meilleure chance de nous échapper, quoi qu'il se soit passé. Elle, où est la sortie ?

Je ne réfléchis pas une seule seconde des conséquences de notre évasion, que ce soit si elle échoue ou si nous y arrivons. Juste, je sors de cette cellule. Dans le couloir, l'onde de choc a tout détruit également, explosant toutes les portes et révélant des pièces sombres, les dernières lumières intactes ne les éclairant pas. Nous avançons sur quelques mètres et je tombe nez à nez avec un groupe de trois inconnus, deux femmes et un homme visiblement inconscient. Les deux femmes nous regardent choquer, mais pas surprises.

— Vous êtes des prisonniers ? nous demande l'une des deux femmes, celle à la peau noire, visiblement inquiète que ce ne soit pas le cas.

— Oui, venez, je sais où est la sortie, affirmé-je en entraînant le groupe vers le bout du couloir.

Ce dernier diffuse doucement la lumière de l'extérieur, la lumière bien visible de la liberté. Soudain, je vois la salle de torture et réagis : Bulle n'est pas avec nous. Pire encore, elle n'est pas dans la salle de torture, à l'intérieur, l'unique lumière éclaire une pièce vide. Bulle et Nazariy ne sont pas là. Ou ne sont plus là. Il n'y a aucune trace d'Hortense non plus, qui pourtant doit normalement traîner dans le couloir en attendant de ramener Bulle à la cellule. Sans réfléchir, je me précipite à l'intérieur de la pièce, espérant qu'elle soit cachée ou n'importe quoi et surtout voulant la retrouver par-dessus tout. Immédiatement, je regrette ma décision, non seulement il n'y a personne, mais en plus, je découvre horrifier une main au sol. Une toute petite main pâle, juste à côté d'une machette maculée de sang.

— Oh putain... murmuré-je en comprenant que c'est la main de Bulle, tranchée nette au niveau du poignet et abandonner comme un vulgaire morceau de viande.

— Elle ? Qu'est-ce que tu fais, il faut qu'on sorte ! rappelle Gwen.

— Il faut trouver Bulle !

Terrence m'attrape par le bras, me retenant de partir.

— Il faut sortir, si elle peut, elle sortira aussi, sinon on ne peut rien pour elle, signale Terrence

— Partez sans moi alors, je ne partirais pas sans elle.

— Tu vas te faire tuer ! refuse-t-il en resserrant un peu plus sa prise.

— Il a raison, il faut se barrer de là avant que quelqu'un arrive ! signale la deuxième inconnue aux cheveux blonds.

Je me débats, je me ferais peut-être tuer, mais je ne vivrais pas avec la honte d'avoir abandonné Bulle.

— On ne peut rien faire pour elle, remarque Terrence en m'entraînant vers la sortie.

Désespérée et n'ayant aucun soutien, j'hurle le prénom de Bulle, espérant plus que tout qu'elle me réponde. Soudain, je sens un choc derrière mon crâne et je sombre dans l'inconscient.

De très loin, j'ai l'impression d'entendre des cris désespérés et choqués. Je sens du mouvement. Mais je n'arrive pas à ouvrir les yeux. Je comprends seulement que nous sommes sortis quand mes paupières se teintent de rouge. Soudain, j'ouvre les yeux. Bulle. Il faut que je retrouve Bulle. Nous sommes dehors. Au milieu de ce décor de nature luxuriante que j'ai souvent vu lors de mes sorties. À côté de moi, Terrence me soutient. Je me débats et pris de surprise, il me lâche enfin. Je découvre alors qu'il y a un problème. Un autre. Joakím, Aaliyah et la femme blonde ont disparu.

— Où ils sont ? demandé-je choquée.

— Ils se sont barré ces enflures. Ils ont pris un escalier à l'intérieur. Impossible de les retenir, affirme Gwen qui aide à soutenir l'homme inconscient aux côtés de la femme noire.

— On se barre, ils vont nous attirer des problèmes, affirme la blonde en entraînant tant bien que mal Gwen et l'homme plus loin.

Je reste figée, hésitante tandis que Terrence les suit. Non définitivement, je ne peux pas abandonner Bulle. Tant pis si je me fais prendre, je ne peux pas l'abandonner. Donc je fais demi-tour, retournant vers le bâtiment de la prison, à quelques centaines de mètres de là. Quand ils s'en rendent compte, ils m'appellent, mais ne prennent pas le risque de me poursuivre. Lâche jusqu'au bout. Je suis à une centaine de mètres de l'entrée lorsque des silhouettes se dessinent dans le couloir. Je me fige. Je ne pourrais jamais rentrer sans me faire attraper. Il faut que je réfléchisse et vite. Est-ce que Bulle est toujours à l'intérieur ? Qu'est-ce qu'il se passe exactement ? Qu'est-ce qui a provoqué l'explosion ?

Avant même de voir les visages du groupe, je vois des lames briller et j'ai la furieuse impression que si je me fais attraper, ils ne me laisseront pas en vie. Je serais lâche d'abandonner Bulle. Mais je serais inconsciente de foncer dans le tas, ils sont trois et armés, ils peuvent me massacrer. La vie ou les promesses ? Le risque ou la facilité ? Je sens les larmes couler à mes yeux à la seule penser de ce que je vais faire. Je suis lâche. Ne traînant pas plus, je repars en courant suivre les autres. Terrence est déjà loin maintenant, Gwen par contre et très ralenti en essayant de soutenir l'inconnu avec la blonde. Soudain, la femme trébuche, entraînant avec elle l'homme toujours inconscient et manquant de faire tomber Gwen. Cette dernière s'arrête quelques instants, se retourne et découvre les assaillants. Effrayée, elle abandonne les deux inconnus et repart en courant à travers le chemin entre les arbres.

Ayant quasiment rattrapé les inconnus, j'hésite. Je pourrais les contourner, ce serait facile. Mais je ne peux pas me résigner à abandonner trois personnes aujourd'hui. Six, si on compte les trois qui ont pris les escaliers pour aller, je ne sais où. Alors je m'arrête relever l'homme et aider au passage la femme. En m'arrêtant, je surveille la progression de nos assaillants. Ils sont encore à une centaine de mètres de nous. Mais pire encore, je les reconnais, ce sont Joakím, Aaliyah et la noire. Une certitude, ils ont changé de camps ou plutôt ils ont rejoint leur camp... Joakím et Aaliyah étaient des Akra et le sont sûrement encore. Quoi qu'il se passe là-bas, ça ne m'étonnerait pas une seconde que Nazariy les ait enrôlés.

Ne perdant pas plus de temps, je cours, soutenant à moitié l'homme qui par chance n'est pas excessivement lourd. Il tient excessivement chaud pas contre, avec l'air tropical de la forêt, son bras moite trace une barre dans ma nuque. En lui tenant le poignet, j'ai la confirmation que nous ne faisons pas ça pour rien, son cœur bas encore. Continuant d'avancer, le chemin commence à disparaître, nous obligeant à nous enfoncer dans la forêt touffue. Je commence à être de moins en moins certaine de mon choix d'aider les inconnus, le risque commence à grandir. Heureusement, les anciens prisonniers ont la même condition physique que nous, n'étant pas les poursuiveurs les plus rapides. Je me retourne une énième fois pour surveiller leur progression et glisse dans une flaque de boue.

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant