Pour la première fois, nous avons eu un jour de repos avec Bulle. Après l'interrogatoire, personne n'est revenu nous chercher pour nous torturer. Impossible d'expliquer pourquoi, peut-être que pour eux, c'était déjà assez pour une journée. Mais je ne rêve pas, aujourd'hui, tout reviendra sûrement à la « norme » ce n'est pas parce que nous avons changer de lieu que tout va radicalement changer. J'aimerais bien, mais je n'y crois pas du tout. Alors à l'allumage des lumières, j'attends qu'Hortence vienne chercher Bulle ou moi pour une nouvelle journée en enfer.
— Eirene, m'appelle Hortence en ouvrant la porte.
Ayant bien compris depuis le temps qu'il vaut mieux être bête et obéissante, je me lève et la suis à travers ses nouveaux couloirs jusqu'à une porte un peu plus loin derrière laquelle se trouve Nazariy. Cette nouvelle salle de torture me semble plus grande, mais certaines choses comme la collection d'armes sont fidèles à leur poste. Par contre, pour la première fois, il y a une chaise en métal au centre qui est relié à une boîte noire.
— Désolé de vous avoir abandonné hier, il fallait que je trouve et installe mon nouveau joujou, tu vas voir, je suis sûr qu'il va te plaire, déclare-t-il souriant.
— Qu'est-ce que tu as fait hier ? lui demandé-je ne m'étant toujours pas remise de l'interrogatoire.
— Quand ça ?
— Quand tu m'as permis de mentir.
— Ah ça ! Je protège les Pirie au cas où tu ne t'en souviendrais pas. Tu allais vraiment balancer Yiao et toute la triplette au passage juste pour protéger une gosse ? Tu es sérieuse ? Je pouvais pas te laisser faire ça.
— Je n'avais pas le choix. Et...
— On a toujours le choix. Assieds-toi au lieu de nous faire perdre du temps.
— Peu importe, pourquoi tu protèges les Pirie ? insisté-je en obéissant.
— Il y a vraiment des trucs que tu n'arrives pas à comprendre, c'est hallucinant, soupire-t-il en commençant à m'attacher à la chaise. J'aime Ayoe. Je ferais tout pour la protéger et si je peux éviter de la rendre triste, je le fais, c'est aussi simple que ça. Donc ça implique aussi protéger sa famille. Je ne ferais plus jamais quoi que ce soit qui puisse nuire à un seul des Pirie.
— T'es qu'une enflure.
— Je ne sais même pas pourquoi je parle avec toi. Je n'ai pas à me justifier, c'est plutôt à toi de te justifier d'ailleurs. Tu es vraiment une super amie. Il t'a fallu quoi ? Un mois et demi pour balancer tous tes anciens amis sans exception ? Heureusement que je t'ai retenu, on aurait rempli cette prison comme jamais auparavant grâce à toi.
Je dois me retenir de ne pas répéter que je n'avais pas le choix. Parce que je n'avais vraiment pas le choix, je ne pouvais pas laisser Bulle souffrir sous mes yeux. À la place, je pose la question qui me démange.
— C'est quoi ton Dō̂ron ?
— Tu mets une éternité à poser les bonnes questions, c'est hallucinant. J'ai eu la chance d'avoir l'Hegéomaipathie. Je devrais sûrement remercier ta mère pour ça d'ailleurs, c'était un très beau cadeau de sa part. Si tu n'y connais rien, en gros je manipule les sens, c'est comme ça que toute la Phylakḗ t'a entendu dire que tu savais que Pandora avait un contacte, mais que tu n'avais pas la moindre idée de qui.
Je le regarde sous le choc, j'ai déjà entendu quelqu'un me décrire un Dō̂ron comme ça. Nazariy a le même Dō̂ron que Sandun.
— Tu es Sandun.
— Tu penses que j'ai quel âge au juste ? Et je n'ai pas non plus cinquante identités, Sandun était mon mentor, un très bon mentor même, c'est grâce à lui que je suis ici.
— Était ?
— Il est mort il y a quelques années, c'est comme ça que je suis devenu le chef de tu sais quoi. Allez assez parler, on commence ? Comme d'habitude, tu te serres d'un de tes Dō̂ron et tout s'arrête. Tu vas voir, c'est particulièrement amusant aujourd'hui, conclut-il en me faisant un clin d'œil.
Il s'approche alors de la boîte qui est reliée à la chaise et s'accroupit. Et avant que je ne me sois posé la moindre question, je sens une décharge électrique me traverser. Puissante. Violente. Envahissant chaque partie de mon corps, me clouant à la chaise, me serrant le cœur. Traversant mes muscles, ma chaire, mes os, mes veines. Mais surtout, envoûtante. Je ressens sa puissance, sa force. Ma puissance. Ma force. Mon Dō̂ron bouillonne sous ma peau, prêt à exploser. Ce serait tellement facile de m'en servir, il est là, tout près, tandis que l'électricité produit l'effet contradictoire de me brûler de l'intérieur et de recharger mes forces. Plus que jamais, je dois me retenir.
Et soudain, tout s'arrête, me donnant l'impression d'être vidée. J'en suis presque déçue et je me dégoûte rien que d'y penser. J'aurais pu tout faire avec cette électricité. Ne me laissant pas de répit, l'électricité revient, plus forte et plus puissante, plus douloureuse et brûlante. Mon regard croise celui de Nazariy. Si je voulais, je pourrais le tuer. Je m'en sens capable. Je pourrais l'électrocuter comme il essaye de le faire. Je pourrais le tuer. Je veux le tuer. Mais l'électricité s'arrête à nouveau. Je serre le poing. Il ne faut pas que je le tue. Je ne dois pas perdre mes Dō̂ron. Il faut que je résiste à la tentation. Pour Bulle. Si je le tue, je vais l'abandonner et elle se fera toujours torturer par quelqu'un d'autre. Je ne peux pas lui faire ça. Alors quand la troisième salve arrive, je me concentre sur la douleur, celle qui me broie de l'intérieur, celle qui me fait souffrir, celle qui me brûle, celle qui me retient.
Ce manège continu, encore et encore, rendant tout mon être un peu plus douloureux à chaque fois. À de rares occasions, il s'approche de moi, augmentant encore plus la tentation de m'en prendre à lui. M'obligeant à me concentrer sur la douleur, rien que la douleur. Je m'accroche à la souffrance pour ne pas prêter attention à la force que je pourrais créer. Je tiens le choc, coûte que coûte. Jusqu'à ce que Nazariy se lasse enfin et me détache. Le contact de sa peau froide me donne l'impression d'exploser de l'intérieur. Et je garde mon calme, ne voulant pas totalement le tuer, même si en l'ayant si proche de moi, nos peaux l'une contre l'autre, ce serait sûrement tellement facile. Mais non, il ne faut pas, c'est exactement ce qu'il recherche. Peut-être même que je n'arriverais même pas à le tuer avant que mes Dō̂ron ne disparaissent. Ça n'en vaut même pas la peine. Il n'en vaut pas la peine.
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elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)
ParanormalSuite de La Comptine Du Papillon et de La Sérénade Du Serpent Rien ne l'aurait préparé à ce qu'il va lui arriver, même ses cauchemars les plus fous. Après que Lindsay ait appris qu'elle était enfaîte Eirene, troue noir. Elle se réveille dans une piè...