Après m'être découverte, j'ai traversé la rivière et j'ai continué d'avancer toujours plus loin dans la forêt. Et je ne sais pas pourquoi depuis ce jour-là, j'ai une impression malsaine, comme si j'étais observée. Mais impossible de savoir pourquoi, il n'y a absolument rien de particulier et j'ai l'impression de devenir peu à peu paranoïaque à cause de la solitude, de l'isolement et de Nadei. Ne pas savoir ce qu'il fait, où il est et ce qui me veut me fout la boule au ventre, surtout maintenant que j'ai compris qu'il a utilisé Bulle pour faire quelque chose et qu'il nous a tous manipulés. J'ai l'impression d'être encore un pion dans son jeu et qu'à tout moment, il peut réapparaître et m'utiliser. Voire pire encore, d'être une partie de son plan et d'agir exactement comme il l'espérait. J'ai fait mes choix, mais j'ai fait mes choix après avoir passé plusieurs mois sous son emprise et à l'entendre tous les jours. Je souhaite de tout cœur avoir mon libre arbitre et d'avoir mis à mal ses projets en m'échappant, mais je ne peux pas en être certaine.
Au moins, je suis a priori libre maintenant. Et il ne me rattrapera plus, je ne me laisserais pas faire. En plus, je suis dans mon élément dans cette forêt, ici, il n'y a pas de problème, juste la vie. Je marche, j'avance, je me nourris, je bois, je dors, c'est aussi simple que ça. Et à la limite, je m'adapte à la météo et à la chaleur, mais rien d'autre. Par bien des côtés, j'ai une vie bien plus simple maintenant que je n'en ai jamais eu. C'est triste à dire, mais je suis à ma place au milieu de cette forêt qui semble être la forêt amazonienne.
Et ce rythme de vie me convient bien. J'avance à travers la forêt, suivant un chemin imaginaire le long de la rivière. Maintenant, je reconnais de très loin les arbres fruités, ayant appris en quinze jours à les repérer et j'ai égrisé ma vision. Je pense que sans lunettes, je suis toujours aussi aveugle, mais j'ai la chance incroyable de les avoir encore et qu'elles ne soient pas abîmées. Sans elle, j'aurais sûrement survécu encore moins facilement dans cette forêt. Je vois au loin une de ses plantes grimpantes qui porte des fruits de la passion. Ça doit faire déjà deux ou trois jours que je n'en ai pas vus et j'avoue que j'adore ces fruits, ça fait du bien de retrouver une saveur connue. Je fais donc le détour pour en récupérer une petite quantité, sachant déjà que j'en trouverais, je vois d'ici les fruits ronds et jaunes.
Je ne suis plus qu'à un ou deux mètres des fruits quand une masse m'atterrit sur le dos, me plaquant au sol, enfonçant ses griffes dans mes cuisses. Au même moment, j'entends un feulement menaçant, ressemblant presque à un grognement et immédiatement, je sais que j'ai à faire à mon pire cauchemar : un des grands prédateurs de cette forêt. Dans mon dos, je le sens mordre mon hamac et le secouer dans tous les sens, me faisant valdinguer avec vu que j'y suis toujours reliée. Il faut que je me libère. Autour de moi, c'est le chaos, mes gourdes d'eau ont explosé sous le choc, mon panier de provisions aussi, déversant son contenu partout et éloignant de moi ma pierre tranchante. Plus l'animal tire sur mon hamac, plus il m'entraîne dans son mouvement et plus les fibres qui servent de lanières s'enfoncent dans ma peau tandis que je me maudis d'avoir fait quelque chose de solide en encaissant les coups. Soudain, en tendant le bras, j'arrive enfin à récupérer ma pierre. Sans attendre, je tranche une première lanière, mais l'animal abat sa grosse patte sur mon bras, distrait par le mouvement, me plaquant encore plus sur le sol, écrasant mon dos et mon bras. Bon sang, je n'ai jamais autant regretté de ne pas pouvoir utiliser mon Dō̂ron. Déjà par je ne sais trop quel miracle, l'animal a décidé de me transformer en jouer avant de me tuer. Et il peut me tuer, je sens ses griffes, je sens sa force.
Dans un mouvement désespérer, j'ondule mon dos, essayant de le reconcentrer sur mon hamac, tant qu'il est sur mon sac, il ne me tue pas. Et avec un peu de chance, avec une bretelle en moins, j'arriverais à m'en débarrasser. Dans un feulement presque amusé, il saisit à nouveau mon hamac avec la même force que tout à l'heure, mais ce dernier tenant moins bien, l'animal est entraîné loin de moi avec mon sac. La bretelle restante n'a pas cassé, s'étant arrachée de mon bras, me provoquant une énorme douleur dans l'épaule, mais je n'y prête pas attention, grisée par l'adrénaline et mon envie de survivre. Profitant de la distraction, je me lève et cours, ne sachant pas quoi faire d'autre. Mais je n'ai pas fait deux mètres que le prédateur s'abat à nouveau sur moi, enfonçant ses griffes dans mon dos. La pierre serrée dans la main, je me retourne avec la ferme intention de poignarder l'animal et je me retrouve face à face à un jaguar surpris qui s'est arrêté quelques secondes.
N'attendant pas, je le poignarde au niveau de la gorge, mais je le rate de peu. Ce dernier, énervé, me lance un grand coup de griffe et j'ai tout juste le temps de me protéger la gorge avec mon bras qu'il me lacère le visage et l'avant-bras. Et la seule chose qui l'a empêché de me crever un œil, c'est mes lunettes qui se sont opposées aux griffes. Me battant pour ma vie, j'assène un deuxième coup au ventre, déversant un peu de sang et le stoppant quelques instants. Et soudain, il pousse un hurlement de douleur, trop en différé pour que j'en sois responsable et je découvre une flèche plantée dans son flanc. Sans réfléchir, je la saisis et l'enfonce plus profondément vers le cœur en tournant la flèche, lui arrachant un second hurlement de douleur. Cette fois, j'ai presque l'impression que son regard devient vitreux et après des longues secondes en suspens, son corps s'effondre sur moi, m'écrasant sous le poids.
C'est seulement sous la carcasse de jaguar mort que je réagis de la présence de la flèche. Je ne suis pas seule. Et c'est bien plus inquiétant que ce jaguar ou les blessures qu'il m'a infligées. Quel que soit l'humain qui m'a sauvé la vie, les chances pour qu'il me veuille vraiment du bien son mince. Paniquée, je m'extirpe du cadavre de cet animal qui doit être plus lourd que moi. Au même moment, je découvre un groupe d'une dizaine d'humains, habillés d'un pan de cuir autour de la taille et ayant des peintures sur le corps et le visage, et surtout, tous armé de lance ou d'arc pointé sur moi dans une attitude agressive.
J'ai envie de croire que s'ils m'ont sauvé la vie, ce n'est pas pour me tuer ensuite, mais là j'ai quand même une impression très désagréable en les voyant ainsi.
Sérieusement effrayée, je dis quelques mots en espagnol et en portugais, essayant de communiquer et surtout de leur faire comprendre que je ne veux pas de mal. Mais leur attitude reste la même jusqu'à ce qu'une jeune femme se détache du groupe en disant quelque chose dans une langue chantante, ressemblant presque à celle des oiseaux même si je reconnais quelques sons de lettres. À ma hauteur, elle me saisit le bras et m'entraîne sans hésiter loin du jaguar mort. Deux hommes nous suivent, flèches encochées, nous suivant de près, me faisant clairement comprendre que je dois les suivre. Quelques mètres plus loin, je me retourne et je découvre que deux autres personnes nous ont suivis, portant le cadavre du félin alors que tous les autres sont repartis dans la direction inverse, s'enfonçant dans la forêt.
VOUS LISEZ
elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)
ParanormalSuite de La Comptine Du Papillon et de La Sérénade Du Serpent Rien ne l'aurait préparé à ce qu'il va lui arriver, même ses cauchemars les plus fous. Après que Lindsay ait appris qu'elle était enfaîte Eirene, troue noir. Elle se réveille dans une piè...