elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)

Jour 20 (1)

Ça a été affreux ce matin de laisser Bulle partir avec Hortense. Pire que les jours précédents vus qu'elle était avec moi. Elle était blottie contre moi tandis qu'elle était appelée. Et je n'ai rien fait. Je suis restée là à la regarder l'emmener se faire torturer. L'impuissance ultime. Et j'espère sincèrement qu'elle ne m'en voudra pas, parce que je m'en veux déjà assez comme ça, je ne veux pas gâcher la mince confiance qu'elle a placée en moi. Et tout à l'heure face à Nazariy, j'ai à nouveau tenté d'aborder le sujet, mais j'ai senti que sa patience était tellement à bout que je n'ai pas osé insister plus, craignant les conséquences. Je suis un monstre. Je me préoccupe tellement de moi-même que par peur des conséquences, je n'ose rien faire. Il m'a seulement fallu cinq jours pour devenir quelqu'un qui m'insupporte. On dit que le monstre n'est pas celui qu'on croit, je commence sincèrement à le penser. Est-ce que le plus gros monstre, c'est celui qui ordonne les monstruosités, celui qui les commet ou celui qui les laisse avoir lieu ? Où je me situe dans tout ça ? Ai-je une chance de sortir de l'équation ? J'ai envie de croire que je n'y suis pas, mais j'ai peur que mon inaction de ce matin soit la preuve du contraire.

J'espère sincèrement que Bulle est assez intelligente. Elle pourrait, je suis convaincue qu'elle l'est, mais il y a quand même un risque. Pour l'heure, elle dort, se remettant sûrement de ces émotions de toute à l'heure. Je devrais sûrement prendre exemple sur elle, mais avant, je dois aborder une conversation que je dois aborder depuis longtemps déjà : celle de mes parents. J'ai toujours aussi peur, mais Bulle a raison, il faut savoir. En plus, je me dois bien ça. Si je ne m'étais pas retrouvée ici, j'aurais sûrement bombardé Pandora de questions. Maintenant, je ne peux plus, mais ça ne m'empêche pas d'avoir certaines réponses. Pour moi. Ce n'est pas parce que je hais mes parents de m'avoir donné naissance et d'avoir demandé à tout le monde de me mentir que je dois rester à vie dans le déni d'eux.

— Elle va s'en remettre, affirme Joakím avant que je n'aie dit le moindre mot, en remarquant sûrement le regard que je lance à Bulle.

C'est affreux à dire, mais celle petite à de la force à revendre, je devrais sûrement m'en inspirer. Elle est peut-être détruite, mais elle a encore le courage pour elle, c'est sûrement ça qui lui permet de tester en vie.

— Je veux connaître mes parents, lâché-je.

— Ils sont morts, rappelle Minjun, désolé.

— Je sais, mais vous les connaissiez.

— Pas tous, ça dépend de notre ancien camp, rappelle Aaliyah. Joakím et moi, on était avec les Akra, on n'a jamais rencontré tes parents.

Même si je me doutais que j'étais enfermée avec des Epa et des Akra, ça me fait tout de même bizarre que deux des personnes présentes se sont battues contre mes parents et surtout sont dans le camp de ceux qui nous ont attaqués si souvent. Et dans le camp de Nazariy aussi a priori, même s'ils ne sont sûrement pas au courant. Du moins, j'espère. Sinon, à leur place, je n'oserais même plus regarder Bulle ou assumer ouvertement être un ancien Akra.

— Qu'est-ce que tu veux savoir ? demande Gwen.

— Comment ils étaient, quel étaient leur Dō̂ron, pourquoi ils m'ont abandonné, tout.

— Ils ne t'ont pas abandonné, ils ont tout fait pour te protéger, ils risquaient de mourir, tout le monde était contre eux, ils étaient obligés de trouver une solution. Quand Moyra a su que son neveu était né un 29 février 2000, ils ont vu la meilleure possibilité pour toi.

— Mais pourquoi ils m'ont eu s'ils avaient si peur que ça.

— Ce n'est pas si simple.

— Pourquoi ils m'ont eu en sachant les risques, en sachant que je pouvais finir ici, en sachant qu'ils allaient peut-être mourir.

Et ils connaissaient très bien les risques en m'ayant. Ils savaient même ce que ça faisait quand deux Dýnamai avaient un enfant, j'en suis persuadée. En tout cas, s'ils connaissaient Pandora et ses parents, ils savaient forcément pour les trois Dō̂ron en plus des risques de condamnation, parce que Pandora devait avoir cinq ou six ans au moment de ma conception, en étant née avec ses Dō̂ron, elle avait forcément déjà montré ses aptitudes, quelle qu'elle soit.

— Ils s'aimaient, c'est tout. Et avant la bataille des sept îles, ils ne savaient pas qu'ils allaient mourir, c'est seulement lorsque les Epa ont perdu qu'ils ont eu peur, explique Gwen. Les Akra allaient les pourchasser, les Áídios allaient les traquaient, les derniers Epa allaient se venger à cause de ce qu'ils ont pris pour un abandon.

— Même moi, j'en ai voulu à tes parents avant de comprendre, intervient Terrence. Ils nous avaient lâchement abandonnés au moment le plus important à cause de toi. Ils ont abandonné leur propre mouvement pour toi alors que tu n'étais encore que dans le ventre de ta mère. Il y avait des dizaines de morts et nos chefs n'étaient même plus là pour nous soutenir, il a de quoi devenir fou.

— Donc même les Epa voulaient la mort de mes parents au final. Mais pourquoi ils n'ont pas participé à la bataille avec tout le monde, pourquoi ils ont abandonné leur troupe ?

— Tu as déjà vu une femme enceinte de sept mois sur un champ de bataille ? Encore plus quand elle doit cacher sa grossesse. Et Dimitri ne voulait pas l'abandonner, encore moins risquer de mourir là-bas. Et a posteriori, il a sûrement fait le bon choix... On a eu trente-deux morts et cinq survivants, sept si on compte tes parents. Ton père y aurait sûrement laissé sa peau. Au moins, il a pu te rencontrer.

Dans sa voix, on entend encore très clairement le traumatisme, même dix-huit ans plus tard. Entre la violence des combats et la perte de proches, amis et camarades, c'est encore marqué au fer rouge dans son esprit. Même à son regard vers le sol, on a cette impression malsaine qu'elle voit la masse de cadavres à ses pieds. Terrence quant à lui réprime un frisson et Minjun a détourné le regard, les yeux brillants. Même Aaliyah et Joakím, qui ne déplorent pourtant pas les pertes de leur camp actuellement, ont baissé la tête, se recueillant en silence.