La vie dans la tribu est très tranquille et agréable, ça change radicalement de la vie solitaire que j'avais dans la jungle ou pire encore, de la vie que j'avais en prison. Chaque jour, j'aide dans diverses tâches, la cuisine, la cueillette, la vannerie, la tannerie, tout ce que je suis capable de faire plus ou moins bien d'une main. Petit à petit, je commence à comprendre et parler certains mots de bases de leur langue, n'ayant pas d'autre choix que d'apprendre vite. Je commence même à apprendre les prénoms en plus de les reconnaître et le premier que j'ai compris, c'est celui qui m'a été donné à mon arrivée dans le village : Patte de jaguar. Mais j'ai aussi assimilé celui de la chasseuse : Arc tendu, celui de la guérisseuse ; Herbe douce et celui du jeune homme du potager : Main noire.
Et tout doucement, mon moignon me fait de moins en moins mal, commençant lentement à cicatriser, j'ai même appris à faire le bandage moi-même et à récolter les plantes médicinales. Bien sûr, à des moments, je ressens une douleur fulgurante, absolument atroce, mais à part ces épisodes et les fois où j'ai l'impression de toujours sentir ma main gauche, ça va. Officiellement, je pourrais essayer d'utiliser mes Dō̂ron maintenant, mais je n'ai pas encore pris le temps. Je suis sûrement trop lâche pour ça. Pourtant, j'ai l'impression que mes Dō̂ron ont été libérés et cette impression ne m'a pas lâché depuis que j'ai perdu ma main, je sens que quelque chose à vraiment changer et certain jour, ça me donne particulièrement envie d'utiliser mes Dō̂ron, ça me manque trop de ne pas les avoir et de ne pas m'en servir, encore plus quand j'entends la nature chanter et vivre autour de moi, me rappelant que si je voulais, je pourrais encore mieux la comprendre.
Et aujourd'hui, l'univers a décidé de me rappeler une énième fois que je pourrais et devrais peut-être essayer mon Dō̂ron. Pendant que j'aide à déterrer des racines qui servent à faire beaucoup de préparation culinaire ici, un petit oiseau se pose à proximité de moi pour fouiller la terre, absolument pas effrayer par mes mouvements, profitant au contraire de l'agitation pour récupérer des petits vers et insecte que je déterre.
— Les animaux t'aiment Patte de jaguar, remarque Main noire.
Il ajoute quelque chose à propos d'Arc tendu, je capte seulement le mot voir et chasse.
Je hausse les épaules, n'ayant pas encore entendu d'équivalent de peut-être ici. Et même si ce n'est rien, ça me met une forme de baume au cœur d'entendre quelqu'un me dire ça, je crois que c'est la première fois qu'on me le dit vraiment, avant mes seize ans, je n'avais pas assez la possibilité de m'approcher d'animaux pour que qui que ce soit me fasse la réflexion, et depuis que j'ai découvert mon Dō̂ron, personne ne me l'a dit non plus, sûrement parce qu'il y avait un flou et que je n'étais pas encore aussi proche de la nature qu'aujourd'hui. Mais ça me fait vraiment plaisir, même si ça me rappelle aussi mon Dō̂ron et le lien étrange que j'ai naturellement avec la nature. Les deux sont étroitement liés, j'en suis certaine, peut-être Main noire n'insiste pas, mais je garde cette petite penser en tête, accompagner de cette impression qu'il faudrait que j'essaye d'utiliser mon Dō̂ron, je ne peux pas passer ma vie sans m'en servir, il fait partie intégrante de moi, peut-être même plus encore que mes deux autres Dō̂ron. Je finis d'arracher les racines au côté d'autres villageois, puis je me propose d'apporter le panier de racines sous le préau pour que les personnes s'occupant du repas puissent les préparer. Et en revenant, je fais un détour par la forêt, m'enfonçant dans les bois à l'abri des regards et seule. Et là, avec beaucoup d'appréhension, je me concentre sur la nature qui m'entoure, sur les bruits qu'elle produit, répétant minutieusement tout ce que j'ai appris pour utiliser mon Dō̂ron.
Lentement, très lentement, j'essaye d'utiliser mon Dō̂ron, je sens bien que rien ne le bloque, que je peux m'en servir. Mais je n'y arrive pas, j'ai beau me concentrer, fixer mon attention, suivre tous les conseils qu'on m'a déjà donnés, je n'entends rien de plus que la nature qui s'agite normalement. Je n'y arrive pas. Je n'y arrive plus, pas après tout ce temps et toutes ces souffrances. J'insiste, j'insiste autant que je peux, mais rien ne marche. J'ai encore mon Dō̂ron, mais je suis incapable de m'en servir. Encore toujours éternellement. Tout ça pour rien. J'ai payé le prix fort, j'ai perdu ma main et malgré tout, je n'y ai plus le droit. Des mois de privations pour ne même plus être capable de m'en servir. Je m'en veux tellement de ne pas y arriver que mes yeux me piquent. C'est sûrement le pire comble, être au milieu d'une forêt luxuriante, avoir le Dō̂ron de communication avec la nature, pouvoir m'en servir et malgré tout en être incapable.
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elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)
ParanormalSuite de La Comptine Du Papillon et de La Sérénade Du Serpent Rien ne l'aurait préparé à ce qu'il va lui arriver, même ses cauchemars les plus fous. Après que Lindsay ait appris qu'elle était enfaîte Eirene, troue noir. Elle se réveille dans une piè...