Jour 119 (2)

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Je ne sais pas où ils m'emmènent, mais j'essaye de me rassurer, ils ne m'ont pas tuée, ils ne me veulent peut-être rien de mal. En tout cas, après l'attaque du jaguar, je n'ai plus rien, toutes mes affaires ont été détruites ou abandonnées sur place. Je crois que j'ai même perdu le reste de la compresse que j'avais, elle était dans mon baluchon avec mes fruits. Et vue comme je suis blessée et comme mon sang coule doucement des plaies, j'en aurais bien besoin actuellement. Bon sang comment j'ai pu me faire avoir aussi bêtement, j'aurais dû le voir venir. J'aurais même dû m'en méfier, je suis dans cette forêt depuis plusieurs jours, j'ai supposé être au beau milieu de la forêt amazonienne et je n'ai même pas prévu une possible attaque de grand félin. Je n'ai même pas anticipé la présence de possible tribu humaine. La seule chose auquel j'ai pensé, c'est m'éloigner des possibles sociétés humaines. Et vraisemblablement, c'est un échec.

Nous marchons longtemps, durant ce temps, je n'ai aucune information de plus ni aucun signe supplémentaire d'agressivité. Les cinq inconnus discutent entre eux régulièrement, mais aucun ne dit le moindre mot que je pourrais comprendre, je ne sais même pas s'ils parlent une langue autre que la leur. Et au bout d'une heure environ, je vois enfin apparaître une éclaircie dans la forêt et je commence à entendre un cours d'eau à proximité. Et avant même de le voir, je suis prête à parier que c'est un village. Petit à petit, je devine des cahutes qui ressemblent presque à celle que je me fais pour m'abriter en plus grande, les murs ont juste des murs en fibre végétale en plus, mais sinon c'est le même genre de construction. Le plus frappant, c'est l'énorme bâtiment en milieu du village, qui ressemble plus à un préau, devant faire une cinquantaine de mètres de long et une trentaine de large et dont toutes les façades sont ouvertes. Ça doit être un lieu de réunion ou quelque chose comme ça, en tout cas, plusieurs habitants du village s'y trouvent. D'autres sont éparpillés dans le village, mais en nous entendant arriver, ils se rapprochent curieux. Tous ceux dans le village ne portent pas de peinture contrairement aux chasseurs qui m'ont trouvée, mais ils ont tous la peau bronzée, voire mate, prouvant qu'ils passent du temps en extérieur et ils portent le même genre de tenue faite de cuir et de fibre végétale.

La femme qui me guide aboie quelque chose, les éloignant un peu, mais restant pour observer. Puis elle me conduit sous le préau tandis que les deux hommes armés me surveillent toujours, les deux autres portant le jaguar ont quant à eux disparu, sûrement pour se débarrasser de leur carcasse. Sous le préau, elle me fait m'asseoir par terre et après quelques dizaines de secondes d'incompréhension et de doute, une autre femme arrive avec un panier tissé à la main. Toujours sous la surveillance attentive, la nouvelle femme, qui elle n'a pas de peinture sur le corps, m'examine attentivement, regardant mes blessures au visage en priorité, m'enlevant mes lunettes en m'empêchant de bien voir. Déroutée, j'essaye de faire plusieurs signes pour montrer que je ne vois pas sans, n'ayant qu'une seule crainte qu'elles disparaissent après tout ce que j'ai vécu. Soudain, ayant sûrement compris quelque chose à ce que je mimais, mes lunettes atterrissent dans ma main et je m'empresse de les remettre. Elles sont encore plus immondes qu'avant, comme si quelqu'un avait touché les verres avec ses doigts, mais elles sont intactes.

La femme reprend alors son examen, m'invitant à enlever mon t-shirt pour mieux nettoyer les plaies avec un liquide non identifié qui me pique. Elle est très méticuleuse dans ses mouvements, mais surtout très délicate. En faisant les soins, elle pose ou dit certaines choses incompréhensibles auxquelles répondre les trois personnes qui m'ont trouvée dans la forêt. Et à la fin des soins, elle pose une crème étrange sur les plaies avant de recouvrir de feuille que je ne connais pas. Puis elle fait un dernier tour de moi-même pour vérifier son travail et soudain elle attrape ma main gauche et le regarde. Elle n'a aucune blessure, mais elle a toujours le tatouage du Nékys et j'ai l'impression qu'il a attiré son attention. Elle me regarde droit dans les yeux et sort un petit son incompressible. La femme qui m'a amenée répond quelque chose et la vieille dame insiste, c'est l'impression qu'elle en donne et ma guide finit par céder, en s'adressant à un jeune homme qui nous observe et qui part immédiatement, fuyant presque.

La médecin continue de regarder ma main, presque méfiante, alors que l'autre femme, la chasseuse avec ses peintures, à l'aire mécontente. Et ce n'est peut-être qu'une impression, mais je jurerais que les deux hommes avec leur arc ont retendu plus fort la corde avec la flèche, prête à tirer. Peut-être qu'ils ne veulent pas totalement me tuer, surtout vu qu'ils m'ont soignée, mais ils restent menaçants. Le pire, c'est sûrement de ne pas les comprendre et de ne pas savoir ce qu'il se passe, parfois le langage corporel est assez parlant, mais à d'autres moments, je suis totalement dans le flou.

Soudain, un homme assez vieux arrive vers nous et les curieux s'éloignent sur son passage. Arrivé proche de moi, il me regarde haineux et dit une série de phrases sur un ton sec, mais faisant bien comprendre qu'il y a un problème, voire même que je ne suis pas la bienvenue. La chasseuse qui m'a recueillie répond à l'homme sur le même ton et la guérisseuse s'interpose, essayant de calmer le jeu. Les deux gardes quant à eux échangent un regard, hésitant. Même sans comprendre le moindre mot, je vois bien que la situation va déraille, mais je ne peux rien faire. Alors que la dispute est encore en cours, je vois le jeune homme revenir avec long morceau de bois, mais il ne se signale pas et reste en retrait, ne semblant pas vouloir s'en mêler. Et peu à peu, le ton dans la dispute commence à baisser et l'homme semble céder, continuant de me regarder menaçant, mais cédant. La chasseuse dit encore une petite phrase et la médecin voit enfin le jeune homme qui est revenu.

Elle le rejoint et récupère le bâton, je découvre alors que c'est une hache. Prise de panique, je me lève d'un bon et la chasseuse m'arrête et m'oblige à me rasseoir en appuyant sur mon épaule. Plus loin, la guérisseuse passe la lame sous les flammes. En un regard vers la chasseuse, je sens qu'elle est désolée et qu'elle ne voulait pas que ça se passe comme ça. Les deux gardes posent leur arc et me forcent à m'allonger. La chasseuse me force alors à mordre dans un bout de bois et maintenant immobiliser même si je suis en panique, je ne peux plus rien faire. La guérisseuse bloque alors mon bras gauche et l'éloigne un peu de mon corps, m'empêchant clairement de bouger. C'est alors que je comprends enfin. Ils vont me couper la main. Ils vont de couper la main gauche. Ils vont m'enlever mon Nékys. Je ne sais pas comment ils ont pu avoir cette idée, mais ils vont le faire, j'ai presque envie de pleurer de joie à cette idée. À cette idée, j'essaye de me détendre, sachant déjà que je vais affreusement souffrir, mais ne voulant surtout pas bouger. Si je ne bouge pas, ce sera rapide et efficace. La guérisseuse lève alors la hache... Et l'abat sur mon poignet.

La douleur est fulgurante, m'arrachant un cri à peine étouffé par le bois entre mes dents. La douleur me transperce le bras, la main, me brûlant, alors que j'ai l'impression que mon cœur a migré dans ma main. Face à la souffrance, la tête me tourne, je n'arrive pas à rester ancrée dans la réalité, il n'y a plus que mon bras et ma douleur, même ma vision se trouble. Alors que je croyais que c'était enfin fini, une douleur encore plus violente calcine la main, me donnant l'impression qu'elle est plongée dans un feu. Et je sombre définitivement dans l'inconscient.

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant