Jour 104 (2)

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Avec le poids de l'homme, je n'arrive pas à empêcher la chute et je glisse sur le côté. Soudain, je sens un trou sous la végétation. Incapable de me retenir, je tombe, entraînant dans ma chute l'inconnu. Dans la pente, la végétation essaye tant bien que mal de me retenir, me cognant, griffant, fouettant chaque partie de mon corps. Par réflexe, je lâche l'homme alors que ma descente continue. Et alors qu'elle m'avait semblé éternelle, elle s'arrête enfin, arrêter par un sol plus plat. Sonné, je reste allongée et un corps s'abat sur moi, me couvrant à moitié. Et un liquide chaud et visqueux se déverse le long de ma peau. Un instant, j'ai tellement mal que j'ai peur que ce soit le mien. Mais en essayant de me redresser, je comprends, l'inconnu m'est atterri dessus et une énorme coupure lui traverse le visage, laissant s'échapper une quantité montueuse de sang.

Nous avons dévalé plusieurs mètres de pente, au moins trente, peut-être plus, d'une pente quasiment verticale où il n'y a que des buissons. Impossible de comprendre comment j'ai pu la rater, mais le résultat est là. La chute est rude et il semble totalement impossible de remonter. Tout en haut, la femme s'est accrochée à un arbre, réussissant à ne pas tomber.

— Diego ! appelle-t-elle désespérée, semblant hésiter à descendre.

Même sans mettre encore dégagée du poids de l'homme ni même avoir pris son pouls, je vois au sang de son visage qui s'est arrêté de couler que c'est fini. Il est mort.

— Pars ! Il est mort ! hurlé-je en retour.

Elle se retourne une dernière fois et n'hésite pas plus, elle disparaît en courant, me laissant seule avec un cadavre. Je me dégage tant bien que mal du poids mort tandis que mon corps tout entier me fait souffrir. Au même moment, Joakím s'arrête au bord du précipice, me regardant. Il aboie des ordres que je n'entends pas et les deux femmes qui sont à peine apparus dans mon angle de vu disparaissent alors qu'il entreprend de descendre. Même s'il descend lentement pour ne pas tomber, il ne faut pas que je traîne. Je reprends ma course effrénée à travers la forêt. En bas, elle est bien plus dense, rendant ma progression difficile. Mes muscles me tirent, mes poumons me brûlent, mon cœur bat à tout rompre, ma peau dégouline de transpiration, mais je cours. Soudain, au loin, je vois de la lumière, une éclaircie dans la forêt. Remotivée, j'accélère tandis que Joakím semble se rapprocher de plus en plus.

Arrivée au niveau de l'éclaircie, je m'arrête. Une rivière ou un fleuve immense, semblant faire plusieurs dizaines de mètres de large. Elle semble calme et des deux côtés, c'est une forêt à perte de vue. Je ne réfléchis pas. C'est ma seule chance, je sais nager, si je suis rapide, je peux m'en sortir. En courant, j'avance dans l'eau jusqu'à avoir assez de profondeur. Joakím est sur mes traces, me suivant plus qu'à une dizaine de mètres. Quand je peux, je nage aussi vite que possible, ne me posant aucune question face à cette eau fraîche grouillant sûrement de vie. Au même moment, Joakím entre dans l'eau, je l'entends, mais je continue de nager. La rive opposée semble être à une distance infinie, mais je nage sans me retourner. Mon corps hurle de douleur, mes muscles me tirent, l'eau me pique, mais impossible de savoir si je me suis blessée ou si ce sont les plaies cicatrisantes des dernières séances de torture. Sûrement que la seule chose qui me fait tenir, c'est l'adrénaline et l'instinct de survie.

Définitivement, je n'avais pas estimé la rive opposée si loin, j'ai l'impression de mettre une éternité à l'atteindre. Quand je sors enfin de l'eau pour m'enfoncer à nouveau dans la forêt, je me retourne, vérifiant où il est. Je l'ai bien distancé à la nage, mais il est encore assez proche. Il faut que je reparte et vite. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir comme ça. Ou combien de temps il va tenir comme ça. Et j'ai peur que la fuite ne soit pas la meilleure solution. Alors quand je cours à travers la forêt, j'observe autour de moi, à l'affût d'une possible cachette. Je n'ai pas le choix, je ne sais même pas vers où je cours et je ne peux pas continuer éternellement, j'ai encore assez d'avance pour pouvoir disparaître, au moins le temps que Joakím abandonne ses recherches. Soudain, je le vois : un arbre avec des racines énormes et en dessous un trou dans la terre, il n'y a qu'un petit passage pour y accéder. Tout autour de l'arbre, plusieurs buissons cachent le trou. Agissant vite, j'arrache une branche à proximité et je plonge dans le trou. Le passage est excessivement étroit, mais je passe tout de même de justesse. Une fois à l'intérieur, je couvre l'entrée avec la branche camouflant ma petite cachette et me privant quasiment totalement de lumière. Le trou me permet à peine de tenir accroupi et je ne peux définitivement pas savoir quel genre d'animal peut vivre ici, tout ce qui compte pour l'instant, c'est qu'il n'est pas là.

Avec l'effort et le stress, j'ai l'impression de faire un bruit monstrueux dans mon trou, respirant fort, ayant le cœur battant à tout rompre, je jurerais que n'importe qui pourrait m'entendre à cent mètres à la ronde. J'essaye de me calmer, il ne faut pas faire de bruit. Surtout pas. Il ne peut pas me trouver. Je suis cachée. Tout va bien. Mais en réalité rien ne va bien, Bulle a disparu, Aaliyah et Joakím ont changé de camp, ce dernier à l'air de vouloir me tuer, Terrence et Gwen sont je ne sais trop où et impossible de savoir ce qu'il s'est passé dans la prison.

— Elle ? m'appelle Joakím au loin. Sors de ta cachette. Je sais que tu es là quelque part.

Soudain, cette histoire de cachette semble être une beaucoup moins bonne idée. À quel point il a pu me suivre ? À quel point mes traces sont visibles ? Quelles sont les chances pour qu'il me retrouve ? Pendant combien de temps va-t-il me chercher ? Malheureusement, maintenant, même si je ne sais pas où il est, je ne peux plus bouger, c'est trop risqué, soit il me trouve, soit j'ai de la chance, mais je ne peux plus sortir. Alors je reste, blottie dans mon trou, collé à de la terre froide, les vêtements complètement mouillés, le corps douloureux, à espérer être assez bien cachée en faisant tout pour être silencieuse. À l'extérieur, Joakím n'abandonne pas ses recherches, quadrillant le secteur en m'appelant. Il semble vraiment espérer que je sorte, craignant la réaction de Nadei s'il ne me ramène pas. Et il essaye tout, il me rassure en me disant qu'il ne me fera pas de mal, il me rappelle que j'abandonne Bulle, il me signale que je ne survivrais pas seule dans cette jungle. Mais je ne sors pas, je ne lui fais pas confiance et je ne fais encore moins confiance à Nadei, je me doute bien que s'il me veut vivante, c'est pour mettre à exécution son plan à l'égard de Pandora, pas pour me sauver la vie.

Je donne peut-être raison à Joakím et Nazariy ou Nadei, peu importe la manière dont il veut être appelé, j'ai peu de chance de survie dans cette forêt et j'ai toutes mes chances d'être retrouvée si je regagne la civilisation, mais je me dois d'au moins essayer. Je ne sais pas encore si je dois essayer de survivre ou essayer de regagner la civilisation, mais dans tous les cas, ça implique de ne pas se laisser prendre par Joakím.

Je n'en reviens toujours pas qu'il est accepté de rejoindre Nadei et de se retourner contre les personnes avec lesquelles il a passé des années. Je sais bien que ça a toujours été un Akra, mais après tout ce temps, il aurait au moins pu abandonner la cause... Je ne le connais que depuis quelques mois, mais ça ne m'a pas empêchée de le trouver attachant et gentil, savoir qu'il accepte de retourner près des Akra et collaborer avec Nadei, ça me dégoûte. Mais au fond, il a sûrement choisi la voie de la facilité, Nadei lui a sûrement promis mont et merveille et c'était assez intéressant pour qu'il oublie ce que Nadei a fait à Bulle et moi. Et définitivement, les belles paroles de tous les autres prisonniers en mode « le plus important, c'est le bien-être de Bulle point, c'est la seule règle ici » est une sacrée foutaise, aucun d'entre eux n'a hésité à l'abandonner et Aaliyah et Joakím n'ont même pas hésité à se retourner contre elle.

Mais je ne vaux pas mieux qu'eux, au final, même si j'ai essayé, je suis quand même en train de l'abandonner. Pauvre Bulle, je l'imagine seule dans une cellule, la main tranchée a pleuré tandis que Nadei la surveille. Et encore, cette image n'est pas la pire, il y a aussi celle de son petit corps gisant sans vie sur le sol de la prison. Même le meilleur scénario dans lequel elle a réussi à fuir n'est pas plus rassurant, l'image de Bulle seule au milieu de cette nature hostile, elle qui n'a jamais connu l'extérieur n'est définitivement pas plus réjouissante. Pauvre Bulle.

Joakím n'abandonne toujours pas ses recherches, semblant s'éloigner un peu plus au fil du temps.

elLe T3 : La Mélodie Du Tigre (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant