Chapitre 37 : Liwia

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J'entends le bruit de son corps qui se laisse glisser contre la porte, lentement derrière moi. C'est presque comme si à travers le bois je sentais la chaleur de son corps. Des larmes chaudes roulent sur mes joues. Elles descendent le long de mon cou pour atterrir sur mes genoux, que j'ai replié contre ma poitrine. J'ai mal. J'me sens trahis. Elle m'a volé ma décision. C'était à moi de choisir si je voulais le dire ou non à ma mère. C'était à moi de choisir l'endroit, le moment et la façon dont je voulais que ça se déroule. Je suis si déçu par son attitude, j'avais placé toute ma confiance en elle. Elle n'est peut-être pas celle que je croyais... Pourtant, c'est bien elle que j'entends pleurer de l'autre côté de la porte. J'ai l'impression que peut importe ce que l'on fait, on se retrouve toujours dans deux situations parallèlement opposées. Elle, du côté de sa porte, et moi du mien. 

- Je suis tellement désolée si tu savais... Sa voix coupe mes pensées. 

Je lui répond tout bas :

- J'aimerais que ça suffise. 

- Il faut qu'on en parle Liwia. Me dit-elle, les sanglots coupant sa voix.

-  Toi tu n'as qu'à parler, moi j'ai plus rien à te dire pour l'instant. 

J'ai mal au cœur de lui parle si sèchement mais je trouve que c'est mérité. Je hais plus que tout au monde lorsque je ne contrôle pas quelque chose, et ne pas me laisser contrôler cette chose qui m'appartient, c'est comme si j'étais impuissante et je déteste cette sensation. Que va penser ma mère ? Va-t-elle accepter mes choix ? Un silence pèse lourdement sur nous, ne faisant qu'accentuer le fait que mes questions n'ont pas de réponses. Je hais le silence, pour moi il ne représente qu'une invitation à faire du bruit, à laquelle je ne peux pas résister :

- Je sais que toi tu ne dois surement pas avoir ce genre de problème, mais moi c'est différent. 

- Liwia, je sais ce que c'est... D'avoir des parents qui ne comprennent pas nos orientations sexuelles... 

Je me redresse, parle-t-elle de Lilith ? Je ne pourrais pas imaginé une seconde que Lilith ai pu avoir des préjugés sur les personnes que sa fille peut aimer. Lilith est si gentille, compréhensive et adorable...

- C'est de ta mère que tu parles ? Dis-je doucement. 

- Non, ma mère a toujours été très ouverte. C'est des parents de mon ex petite amie dont je parle... Me chuchota-t-elle. 

"Son ex petite-amie" ? Je ne savais même pas que Lucy avait une ex. L'image de Lucy qui embrasse une autre fille envahit mon esprit et me glace le sang. Je ne supporterais pas l'idée de la voir embrasser, ou seulement rire avec quelqu'un d'autre comme elle le fait avec moi. J'en ai la nausée. Elle continue :

- Avant que j'arrive ici, je m'entraînais dans le club de mon ancienne ville. C'était très différent d'ici. Il y avait peu de gymnastes qui s'entraînaient sérieusement. Nous étions deux à nous détacher du lot depuis notre plus jeune âge : Mina et Moi. Notre coach, Josh, nous entraînait exclusivement. On faisait beaucoup de rencontre avec d'autres petits clubs, on terminait souvent première et deuxième. C'était une belle époque. Nous étions amies depuis notre plus petit enfance. On dormait souvent l'une chez l'autre, on était inséparable...

Je sens une grande tristesse dans sa voix qui tremble à présent. La colère monte en moi au fur et à mesure qu'elle parle. Les mots "Inséparable" me brise le cœur. J'espérais que j'étais la seule à lui avoir fait cette effet de liaison intime et complexe mais ce n'est pas le cas. Combien d'autres filles Lucy a-t-elle connu avant moi ? Elle poursuit avant que je ne me pose d'avantage de question :

- Avec le temps, on s'est rendues compte qu'on avait des sentiments l'une pour l'autre. On a garder ça pour nous et on ne savait pas encore à quel point on avait raison. On s'est mit ensemble. Je pouvais passer des heures entières avec elle, cela me paraissait n'être que quelques secondes. Je l'aimais, tellement...

Elle parle de ses sentiments comme si elle les ressentait toujours, est-ce le cas ? Je remet soudain en doute toute notre relation. M'aime-t-elle autant qu'elle aime, ou aimait cette fille ? Pourquoi ont-elles rompus ? Tant de questions, trop d'émotions. J'ai mal à la tête. Elle reprend :

- Un jour, ses parents nous on surpris en train de nous embrasser. Ils étaient tellement en colère. Ils ont interdit à Mina de me voir en dehors du club. Mais ça ne l'empêchait pas de faire le mur tous les soirs et de venir dormir chez moi. Mais ses parents ont continué à la brider, de plus en plus, à l'insulter, de toutes sortes de choses affreuses. Son père a même levé la main sur elle, plusieurs fois. Certains jours, ils la jetaient carrément dehors ! Je ne compte plus les fois où j'ai retrouver Mina en pleures devant ma porte en pleine nuit...

J'ai soudains de gros pincements au cœur. Pauvre Lucy et pauvre Mina... Qu'est devenue cette fille ? Je comprends mieux pourquoi elle m'avait dit que Lilith avait l'habitude de voir quelqu'un chez elle le matin. Et si ma mère me fichait dehors ? Je commence à angoisser. J'ai l'impression qu'une boule se forme dans mon ventre. Lucy continue :

-  C'était toujours plus horrible. Un jour, il y a deux ans, ils ne sont pas venus la voir pour une compétition importante. Mina était tellement stressée... Elle s'est fait mal au genou au sol et l'épreuve du saut est arrivée. J'aurais dû lui dire de ne pas participer, mais je ne l'ai pas fait. J'aurais dû la retenir quand je l'ai vu partir vers cette maudite table de saut, mais je ne l'ai pas fait. J'aurais dû lui dire que je l'aimais une dernière fois, mais je ne l'ai pas fait. J'ai vu la grimace sur son visage quand elle a mal tapé sur le tremplin. J'ai pressenti le désastre qui allait se produire. J'ai compris mon impuissance face à la situation. J'ai vu sa nuque s'écraser, raide sur la table, j'ai vu ses yeux se fermer. J'ai compris qu'il ne se rouvrirait plus jamais. J'ai vu son corps sans vie s'effondrer sur le sol. J'ai entendu un bruit sourd, gigantesque, signant l'arrêt de son rire. J'ai su, tout de suite, que plus jamais je ne la verrais sourire, que plus jamais je n'entendrais sa voix, que plus jamais je ne sentirais le gout de ses lèvres, la chaleur de ses doigts. J'ai senti la réalité me clouer au sol. J'ai senti que la douleur était plus grande que ce que je ne pouvais endurer. J'avais l'impression de me noyer, d'être étouffé par le poids titanesque de l'horreur qui venait de se dérouler sous mes yeux. Alors j'ai fait la seule chose que je pouvais faire. J'ai hurlé son nom. Je me suis évanouie, je ne voulais pas me réveiller, pas dans un monde où la lueur au fond de ses yeux n'existait plus. Pas dans un monde où la douceur de sa peau était devenue cette chose rêche qui déchirait ma peau lorsque je me levais chaque matin en frappant dans les murs. Pas dans un monde où l'amour qui comblait mon cœur avait laissé place au vide, total et profond de son absence et à l'unique perspective de ne plus jamais sentir ses bras entourer les miens...

Lorsqu'elle finit son monologue, elle est en pleure et moi aussi, je l'entends s'effondrer derrière la porte et je sais tout de suite ce que je dois faire. Je me lève d'un bond, et tourne la clé dans la serrure. 

Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant