Chapitre 5 : Liwia

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Nous nous retournons toutes vers July qui nous regarde avec tendresse. Je ne sais pas quoi dire et visiblement mes amies non plus, les paroles d'Addi me reviennent en tête "suspendue pour les sélections". Est-ce que c'est possible ? Dans le doute je préfère ne rien dire à July. Je parviens enfin à articuler :

- Je ... Nous... Enfin on parlait de...

- Du fait que mon rondade-salto en sortie de poutre est terriblement mauvais ! Je ne le réussirai jamais pour les sélections ! Me coupe Hailey.

Je lui adresse un sourire de remerciement qui s'efface lorsque July reprend la parole :

- Oh les filles je sais bien que vous ne parliez pas de ça ! Dit-elle en rigolant. Mais peu importe de quoi vous parliez c'était une blague ! Elle rit de plus belle. Je ne vais pas vous forcer à me raconter tous vos petits secrets !

Elle nous donne les consignes, nous ne rajoutons rien et partons vite faire ce qu'elle nous a demandé en silence. Je pousse un soupir de soulagement et je commence l'entraînement. Les enchaînements d'Emily sont tellement propres, j'en suis jalouse. Enfin je suis tout de même heureuse pour elle, il est quasiment certain qu'elle aura une excellente place dans l'élite. Mais j'aimerais avoir son talent... Elle excelle à tous les agrès, elle est la plus forte au sol. Le point fort d'Ashley est le saut de cheval tandis que celui d'Addison est la barre. Hailey est de loin la reine de la poutre et même si elle dit que sa sortie en rondade-salto est mauvaise, c'est absolument faux. Quant' à moi, et bien j'essaie de me débrouiller un peu partout, même si au dernier trimestre j'ai fini première du club. Il me semble que c'était uniquement parce que j'étais dans un bon jour et les autres filles dans un mauvais. Après tout, je suis toujours celle qui demande de l'aide à July et toujours la dernière à qui elle dit que c'est bien. D'ailleurs j'aimerais que mes mouvements soient plus que seulement "bien". Peut-être que je fais une fixette sur la perfection.

July nous demande de présenter nos enchaînements au sol en faisant comme si nous étions le jour des sélections. Je sens que la pression monte en moi, et même si July nous répète sans cesse que notre place dans l'élite est assurée, je n'en suis pas moins très angoissée. Voire carrément terrorisée. Addison se propose comme première à passer, comme d'habitude. Elle présente un bon enchaînement digne des nationales. Elle est très régulière dans sa gymnastique comme dans sa vie et c'est vraiment une amie solide sur qui on peut compter même si elle est parfois un peu trop rabat-joie à mon goût. July la félicite avant de désigner Hailey pour passer. Je regarde attentivement chacun de ses mouvements, je note toutes les fautes qu'elle a pu faire dans ma tête afin de lui faire un débriefing complet après son passage, c'est un petit truc entre nous. Son enchaînement n'était pas trop mal, mis à part quelques erreurs dont je lui ferais part durant le passage d'Emily, c'était plutôt bien. Emily fait un sans-fautes. July me désigne pour passer. Je me lève et commence à trembler. J'ai horreur de ce stress de « pré-compétition », mes jambes vont presque flancher lorsqu'elle pose une main sur mon épaule et me dit avec une voix très douce :

- Ne t'inquiète pas, dis-toi que c'est seulement un entraînement ! Elle m'adresse un clin d'œil rassurant et j'acquiesce avant de me positionner au milieu du praticable.

Je me présente, en levant mes deux bras au-dessus de ma tête et en ouvrant mes épaules, pieds et jambes serrés. J'adresse un grand sourire à ma coach, prends ma pause de départ. Je décale les jambes d'une largeur suffisante, plis un genou vers la droite et laisse l'autre jambe tendu. Je place mes mains au-dessus de mes genoux et le poids de mon corps sur ma jambe plié en y laissant également mon regard. July appuie sur l'enceinte pour démarrer la musique. Je prends une grande inspiration et j'entends un "Allez Liwia !" sûrement venu d'Ashley. Soudain, la musique commence, je débute donc ma chorégraphie qui a des airs classiques et contemporains à la fois. J'essaie d'être précise et ferme tout en restant la plus gracieuse possible. Lorsque j'arrive au coin de la diagonale après quelques mouvements de bras et de jambes, je m'élance pour une rondade suivie d'un salto arrière avec une vrille et demie. Je fais un grand sursaut, pose mes mains puis mes pieds avant de lancer mon corps en l'air. Je me tends au maximum et tente de rester gainée, mes bras se déploient et se rabattent brusquement vers la droite avant de se coller à mon bassin. J'effectue une rotation d'un tour et demi avant d'atterrir de nouveau sur mes pieds. Mais en arrivant au sol je perds l'équilibre et fais un grand pas en arrière. Ce qui me ferait perdre des points. J'entends July qui m'encourage :

- Ce n'est pas grave continue !

Je repars pour une série de sauts, une fois celle-ci terminée, je reprends avec un peu de chorégraphie avant d'atteindre un autre coin. Mes pieds courent sur le sol et s'enfoncent dans le tapis matelassé tandis que mon corps se tend et se tord durant mes figures. Je recommence quelques mouvements de bras puis de jambes en dessinant des cercles. Ma chorégraphie est ponctuée de quelques acrobaties. Après une souplesse avant je descends en grand écart latéral, me tourne puis me relève avant d'atteindre encore une autre extrémité du praticable pour m'élancer de nouveau. J'effectue cette fois-ci une rondade-flip avec double salto arrière que je pile à la réception. Je termine tranquillement mon enchaînement avec d'autres diagonales et séries de sauts. Finalement lorsque j'arrive à ma pause de fin je suis plutôt détendue. Je salue de nouveau puis rejoins July qui me sourit avant de commenter :

- Très bien Liwia, si tu es aussi propre aux autres agrès tu vas finir dans les trois premières aux sélections !

Je balbutie :

- Euh... Merci

July me sourit avec enthousiasme. « Très bien » c'est mieux que « bien » et pourtant ce n'est pas « parfait » Pourquoi suis-je aussi insatisfaite ? Je crois bien que je ne serais jamais contente de moi ni de mon travail tant qu'il ne sera pas excellent. Comme Emily.

- Très bien les filles tout le monde va déjeuner et cette après-midi on s'attaque à la poutre ! Dit July avec joie.

Sa bonne humeur constante me déconcerte un peu mais c'est assez rassurant. Elle n'a pas l'air inquiète pour les sélections alors je ne le suis pas non plus, enfin pas trop... Tout est relatif.

Je retrouve ma mère dans le hall qui me tend une bouteille d'eau. Je la saisis et la remercie. Nous discutons un peu de mes enchaînements et de mes chances d'aller dans l'élite, il faut dire que c'est un sujet qu'elle aime aborder. Il y a aussi le fait que je n'aurais plus aucun jour de lycée avec les nouveaux entraînements qui me prendront tout mon temps. Ma mère n'a jamais vraiment été "pour l'école" elle trouve le système scolaire absurde mais je crois qu'elle s'inquiète un peu de mes chances pour l'université. J'arrête d'écouter ce qu'elle me raconte lorsqu'elle aborde le sujet de l'épicerie au coin de la rue qui aurait été cambriolée. Je laisse mon regard se balader dans le hall puis se poser sur Amy qui discute avec un jeune homme, probablement le frère d'une des gymnastes, je tente d'écouter leur conversation mais il y a trop de bruit autour de nous. Amy rit plus fort que d'habitude, elle a un grand sourire bêta sur le visage, et elle fait de grands gestes avec les mains, dans la précipitation de ses paroles elle laisse échapper un stylo qui tombe dans un craquement sec sur le carrelage. Elle se penche pour le ramasser, et son teeshirt se met à bailler un peu, laissant entrevoir son soutien-gorge et sa poitrine que le jeune homme s'empresse de regarder avidement. Amy se relève et joue des cils avant de lui toucher le bras en rigolant. Amy est-elle en train de... draguer ? Beurk, ça me répugne. Est-ce que toutes les femmes et les hommes en âge de procréer ne pensent qu'au sexe ? Est-ce que moi aussi je serai comme ça ? Pourquoi ça ne m'intéresse absolument pas ? Est-ce que j'ai quelque chose qui cloche ? Toutes ces questions m'embrouillent l'esprit, je décide de regarder ailleurs. Mes yeux croisent ceux d'Emily, puis je remarque qu'elle est accompagnée d'Hailey et d'Ashley. Elles me font signe de les rejoindre, je leur montre à mon tour ma mère en train de parler avec de grands gestes mais elles insistent. Je la coupe donc dans sa passionnante histoire d'épicerie :

- Donc Mary a appelé Mathilda qui lui a dit de prévenir Ambre, tu sais mon ami de la police ? Je t'expliquais...

- Je peux avoir 20$ ?

- Oui, bien sûr tu ne demandes jamais rien... Que veux-tu faire avec ? Me demande ma mère en fouillant dans son sac.

L'idée de lui demander quelque chose me glace le sang mais je n'ai pas d'argent et je veux vraiment rejoindre les filles.

- Pour aller manger avec les filles ! Je pointe du doigt mes amies au bout de la salle.

Elle me tend l'argent et ajoute :

- Amuse toi bien ! Elle sourit de façon étrange.

Je saisis l'argent puis lui tourne le dos et me dirige vers les filles.

Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant