C'est comme si j'étais dans le brouillard. Un brouillard épais, qui m'enveloppe et qui fait naître en moi cette sensation étrange de peur. La peur de ne pas savoir où je vais, de ne pas voir devant moi, de ne pas savoir où je suis et quelle est ma place. Mais, d'un autre côté. Il y a cette chaleur apaisante et séduisante qui m'englobe. Peut-être que c'est mieux de ne pas savoir ? Ça nous évite de passer notre vie à redouter le pire, et quand vient le moment de partir on a vraiment profité, on a vraiment aimé, on a vraiment vécu.
Lucy est partie juste après son passage. Je suis restée un peu pour regarder les autres filles, Ashley a fait un plutôt bon passage mais sur sa dernière diagonale elle est sortie du praticable. J'ai vu le dégoût sur son visage. Je voulais la consoler mais je sais qu'il vaut mieux laisser Ashley tranquille quand elle a cette tête.
Lucy n'était toujours pas revenue, alors j'ai décidé d'aller m'excuser pour... Et bien, ma conduite désastreuse à son égard. J'étais juste tellement bouleversée par Addison. Oui, c'est ça, j'étais bouleversée parce qu'elle m'a appelé. Ce n'est pas comme si j'avais honte de ma relation tortueuse avec Lucy. J'étais secouée et... bouleversée. Je me répète cette phrase en boucle comme si je devais m'en convaincre, pourtant je n'ai pas besoin d'être convaincue, c'est la vérité. Du moins, ma vérité.
À présent, j'arrive devant la porte des toilettes. Elle est entre-ouverte. Je vois Lucy, les yeux clos, son dos appuyé contre le rebord du lavabo. Je scrute un instant son visage qui à l'air si paisible, comme quand elle dort. J'adore me dire que je suis la seule personne qui la regarde comme ça, qui contemple son visage avec une telle avidité. La courbe parfaite de ses yeux, qui dessine son nez, ses pommettes, ses lèvres. J'ai la bouche sèche. J'avance lentement vers elle, tellement lentement que cela en est presque une torture d'une douce cruauté. Lorsque je suis assez près d'elle pour sentir l'odeur de sa peau, je ressens de nouveau cette agréable brûle dans mon ventre, ma bouche qui s'assèche encore et encore, mes jambes qui vont presque flanchées. À cet instant j'éprouve un désir tellement intense et puissant que c'en est presque douloureux. Je ne peux plus résister. Je brise les quelques centimètres qui osent encore nous séparer et ma bouche s'empare de la sienne. Est-ce que ça sera toujours comme ça ? Est-ce que notre attirance physique surpassera toujours la colère de nos conflits ? Je ne sais pas moi-même si c'est une bonne chose, mais je préfère penser à la main de Lucy qui se pose sur ma hanche.
Je n'ai pas vu le reste de la journée passer, j'étais tellement épuisée, tellement embrumée. Tout s'est enchaîné très vite, le saut, la poutre, les barres. La vitesse, la force, la grâce. Donner toujours plus de nous encore et encore. Toujours contempler Lucy encore et encore. Devoir se concentrer. S'équilibrer, retomber sur ses pieds, se maintenir, se tenir droite, tendre tous ses muscles. Comme si c'était un devoir de toujours tenter de refléter la perfection sans jamais avoir le droit de l'atteindre, ne se contenter que de l'excellence et seulement espérer, espérer être celle qui aura le mieux représenté ce qu'on attendait d'elle. Comme de parfaits petits robots, élevés, choyés pour ces quatre ou cinq moments, seulement quatre ou cinq moment de toute une vie qui détermine si oui ou non on a changé les choses, si oui ou non on fait partie de quelque chose de plus grand que nous même. Pour espérer quoi ? Ne pas être comme les autres ? Ne pas rentrer dans cette masse qui au fond nous a toujours effrayé et de laquelle on fait pourtant involontairement partie. Pour que des inconnus nous mettent une médaille qu'on veut être la plus lourde possible autour de notre cou, qu'on sente quelques instants le poids de cette délicieuse médaille et qu'on puisse regarder le monde de la plus haute marche du podium pour se dire que oui, on est pas comme tous ces gens qui nous acclament d'en bas. Mais est-ce que ça nous sauve réellement ? Est-ce qu'on se sent plus libre en aillant un poids autour du cou juste parce que ça nous rend différent ? Mais c'est ça notre sport. C'est ça la gymnastique et je veux cette médaille autour de mon cou autant que je veux être sur la première marche du podium.
Agglutinées autour du panneau des scores qui tardent à s'afficher nous attendons les résultats avec impatience. Lucy est nerveuse, elle joue avec ses doigts et se tient à l'écart comme si les résultat ne l'intéressaient pas. Je me rapproche d'elle.
- Penses-tu avoir déjà gagné pour ne pas t'intéresser aux résultats ? Dis-je en imitant les grands aristocrates.
Un sourire orne son visage lorsqu'elle me voit et je la dévore des yeux comme si c'était la première fois.
- Et bien, ma chère, je trouve que la vue est plus plaisante d'ici et je n'aime pas vraiment la foule, de plus je suis certaine nous serons encore une fois sur la première marche du podium. Dit-elle en prenant le même ton que moi.
- Je vous trouve bien confiante pour quelqu'un que va me contempler de la deuxième place.
Elle rit avec moi, je me cale contre elle et nous attendons ensemble que le petit panneau détermine qui sera la meilleure.
Quelques minutes plus tard, on entend que les autres s'agitent : le tableau est allumé. Il nous faut avoir plus de 51 points pour participer aux nationales et être dans les 6 premières pour intégrer l'élite.
On s'approche, j'ai cette peur étrange qui monte en moi. Et si je n'étais pas à la hauteur ? Et si j'avais tout foiré ? Mon regard se pose sur le tableau dont je lis les résultats :
Résultats finaux :
6) Ashley Brown : 51.450
5) Kate Archibald : 52.650
4) Hailey Smith : 52.800
3) Emily Jones : 52.950
2) Liwia Miller : 54.850
1) Lucy Manchester : 54.900
Je reste stoïque. Je devrais être heureuse. Lucy est la première, ma copine est la première. Pourtant je me sens mal, horriblement mal. Lucy a le sourire aux lèvres et ça devrait me faire du bien pourtant ça ne fait que renforcer cette colère infondée qui grandit en moi à son égard. Les juges nous appellent pour se présenter au podium. Lucy monte sur la plus haute marche, moi sur la deuxième, Emily sur la troisième. Elle a l'air si fière d'être sur la dernière, je ne comprendrais jamais ça. Lucy est aux anges. Moi je ne souris pas. Les juges nous passent les médailles autour du cou et prennent des photos. Demain sur la première page du journal il y aura moi, à la seconde place et Lucy sur la première marche.
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Lunatic Moment
RomanceLiwia Miller est une gymnaste de haut niveau, elle s'apprête à entrer dans l'équipe nationale Américaine quand un événement qui va bouleverser sa vie se produit. Une jeune fille brune du nom de Lucy Manchester arrive dans son club. D'abord rivales...