Chapitre 40 : Liwia

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Je me réveille lentement, mais je n'ouvre pas les yeux. Je veux d'abord mettre en éveil tous mes autres sens. Je sens la respiration calme, lente et régulière d'un corps sous le mien. Je prend une grande inspiration, le parfum si agréable de Lucy emplie ma tête et me procure une sensation de bien-être. J'entends le chant de quelques oiseaux, un écho lointain qui parvient à mes oreilles en traversant les vitres de la fenêtre. Parfois j'oublie que le son est une vibration. C'est vrai, nous sommes tellement habitués à entendre que nous oublions même comment le son est produit et comment il se forme. Encore une chose fabuleuse qui passe inaperçue, parmi tant d'autres, parce que personne dans ce monde n'apprend à regarder les choses banales avec l'admiration, l'engouement et la passion que l'on éprouve pour les choses nouvelles. Alors qu'au fond, très peu de gens savent comment fonctionne le son, la lumière qui permet de voir, et toutes ces choses qu'ils côtoient tous les jours. La nouveauté se trouve juste sous nos yeux. L'homme cherche sans cesse à découvrir, ce qui est relativement normal, mais il ne comprends pas ce qu'il connait déjà.

Souvent, j'imagine que je pourrais devenir sourde, aveugle ou muette. Perdre l'un de mes sens me semble tellement déstabilisant. J'aime me réveiller et juste écouter ce qui se passe en fermant les yeux. Essayer de deviner comment le monde s'agite autour de moi en me servant d'autre chose que de ma vue puisque c'est le seul sens dont je puisse me priver momentanément. Mais, perdre l'un de mes sens pour toujours... Je pense que je serais terrifiée. Ce serait comme me priver de certaines connaissances auxquelles je n'aurais plus accès. Ne plus savoir comment est le visage de Lucy, ne plus pouvoir entendre sa voix. Ce serait horrible. Je me sentirais impuissante, et je déteste être impuissante. 

D'un autre coté, ce serait un accès à de toutes nouvelles sensations, et à d'autres facettes du monde. 

Après de longues minutes à rêvasser, je décide d'ouvrir les yeux. Les rideaux filtrent la lumière qui passe tout de même à travers la fenêtre et qui dessine des cercles lumineux sur le sol. Je lève la tête, Lucy dort toujours. Hier soir on s'est disputées. Mais ça paraît si loin... Je n'arrive plus à éprouver de la colère envers elle maintenant que je connais la raison de ses crises et de son impulsivité. Je me remémore la nuit dernière, ses cris, ses peurs, ses larmes. Je secoue la tête. Si seulement je pouvais soulager cette partie si sombre d'elle et de son passé. Si seulement je pouvais l'empêcher de cauchemarder et de culpabiliser chaque minute pour cette horreur qu'elle n'aurait jamais dû connaître. Je me lève et m'habille rapidement. Il faut que je passe chez moi pour récupérer des affaires, je vais donc voir ma mère. Je ne veux pas y aller. Vraiment pas. Quand je suis avec Lucy, j'ai l'impression qu'une bulle se forme. Comme si le temps s'arrêtait dehors, nous laissant tout le loisir de profiter de nous. Mais malheureusement le monde continue de tourner et dès que je la quitte, c'est retour à la réalité. Un peu comme ces anciennes machines à écrire que reviennent inlassablement à la ligne dans un claquement sec. Bam. Retour à la réalité. 

Une boule se forme dans mon ventre. J'ai tellement peur de la réaction de ma mère, tellement peur de ce qu'elle va dire. Je n'ai jamais compris pourquoi seuls les homosexuels doivent faire leur coming out. Je trouve que c'est injuste, de plus je n'aime pas cette idée que dans la tête des gens on soit hétérosexuels si on ne démontre pas le contraire. La sexualité c'est vraiment compliqué. Parfois je me demande pourquoi j'éprouve ce besoin constant de mettre des mots sur ce que je ressens et donc de me mettre dans une case par extension. Je n'aime pas les cases. Je sais juste que j'aime Lucy et ça devrait être suffisant non ? Pourquoi être éternellement insatisfaite de ne pas mettre des mots sur les sentiments. C'est le bazar dans ma tête. 

Je prépare mon sac. Maintenant je dois réveiller Lucy. Dur épreuve. Je m'assois sur le bord du lit. Je pourrais la regarder dormir pendant des heures entières et ça suffirait à me rendre heureuse. Elle est si belle quand elle dort. Ses longs cheveux bruns ondulés qui ornent le contour de sa tête me donnerais presque envie de la rejoindre de nouveau. Cette idée me parait exquise mais malheureusement, nous devons toutes les deux participer à la suite des qualifications. Je soupire. Je dépose un baiser sur son front. Elle ouvre les yeux et grogne ce qui me fait rire. Elle m'encercle de ses bras et je roule sur le coté avec elle. 

- Lucy il faut qu'on se lève. Je ris à moitié parce que moi non plus je n'ai pas réellement envie de sortir du lit. 

- Oh on peut bien rester là, je suis sûre qu'ils ne remarqueront même pas qu'on est absente. Un sourire illumine son visage et pendant un instant je serais presque tenté de la croire. 

Je me dégage de ses bras à contre-cœur et je me relève puis d'un ton sérieux je déclare :

- Allez débout !

Lucy me dévisage pour me détaille de la tête aux pieds avant de dire :

- Tu es déjà habillée ? Elle penche la tête sur le côté. 

- Oui, ça fait presque une demi-heure que je suis réveillée moi ! De mes mains je montre le sac que j'ai préparé avec mes affaires. 

- Enlève tes vêtements et reviens te coucher avec moi. Elle dit ces mots avec un naturel flagrant. 

J'ai les joues brûlantes. Elle est folle. Oui c'est sûr. 

- Non mais ça va pas ! Il faut que je passe chez moi prendre des affaires ! Et... Et... lève toi tu vas être en retard ! Bon je te rejoins dehors quand tu seras prête ! Je replace quelques mèches derrière mes oreilles.

Lucy laisse tomber sa tête dans les oreillers et souffle. J'attrape mon sac et sors de la chambre. Juste avant de fermer la porte je l'entends qui crie :

- Les vêtements c'est surfait de toutes façons ! 

Je rigole et ferme la porte. Je dévale les escaliers et je croise la mère de Lucy que je salue dans la cuisine. J'ai l'impression que cette routine est devenue une habitude et pourtant c'est si récent. Me réveiller tous les matins à coté de Lucy... Je pense que je pourrais m'y faire. Je souris. J'arrive en quelques enjambés devant la porte de chez moi. Je prends une grande inspiration. Je pose la main sur la poignée froide et la tourne lentement. Je pousse la porte et j'entre. Ma mère est là, elle s'affaire derrière la gazinière. Ricky est posée dans sa chaise haute. Lorsque ma mère tourne la tête vers moi. J'imagine déjà ses cries, ses hurlements. Son visage et son expression, sa déception. Mais non. Elle sourit seulement et s'exclame :

- Bonjour ma chérie ! Alors c'était bien cette petite soirée avec ton amie... comment elle s'appelle déjà... Darcy ? 

Alors là. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Je béguais :

- Euh...Bonjour maman, oui c'était bien et c'est Lucy... 

- Oui, Lucy, Darcy, peut importe. Bon vas vite te changer ! Il ne faudrait pas que tu arrive en retard ! 

Je retrouve là ma mère. Après tout, rien n'importe plus que mon entraînement, bien-sûr. 

Je monte les escaliers, déçue. Elle ne s'est même pas inquiétée pour moi après que je sois partie en courant. Elle n'a même pas écouté quand Lucy lui a parlé de notre couple. Elle garde seulement en tête cette image stupide qu'elle a de moi de la petite fille parfaite qui gagne ces compétitions et qui sort avec le beau gosse du gymnase. Ça me désole. Désolée Maman, mais je ne serais jamais cette fille qui n'a rien avoir avec moi. Si je ne lui conviens pas, tant pis, après tout elle ne me convient pas en temps que mère non plus. Je me laisse tomber sur mon lit. Ce serait peut être plus simple si j'étais comme elle le désire. Après tout, toute ma vie je n'ai fait que rentrer dans ce moule qu'elle avait créé pour moi. Je secoue la tête. Non. Plus jamais je ne ferais semblant. Pas pour elle, ni pour personne d'autre. Je suis tellement heureuse d'avoir rencontré Lucy, qui m'a enfin ouvert les yeux, pas seulement sur mon attirance mais sur ma personnalité toute entière. 

J'entends qu'on toque à ma porte. C'est ma mère. 

Bam. Retour à la réalité.  


Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant