Chapitre 34 : Liwia

200 8 0
                                    

Je sors du gymnase, exténuée.  Je n'ai jamais autant désirée une victoire et pourtant, c'est celle que je regrette le plus. Je me sens coupable d'être montée sur cette première marche. Je me sens coupable de cette médaille qu'on m'a mit autour du cou et dont j'ai l'impression que le poids m'entraîne vers le sol. D'un geste sec, j'arrache la médaille du tour de mon cou quand une main se pose sur mon épaule. Pendant un instant, je me sens soulagée, pensant que c'est celle de Lucy mais très vite je me rends compte que ce n'est pas le cas. Je n'ai pas ressentie cette habituelle décharge dans mon dos. Je tourne la tête : c'est ma mère. Je soupire. Il faut que je lui dise pour moi et Lucy. Mais je ne sais pas du tout comment elle va réagir. Elle prend la parole en premier :

- Ma chérie je suis si fière de toi ! Bon il faut dire que la chute d'Addison t'as beaucoup aidé !

Je me dégage vivement d'elle et la fixe. Non. Ce n'est pas possible. Je savais que ma mère s'intéressait énormément à ma victoire. Mais pas au point de prononcer les paroles qui viennent de sortir de sa bouche. Je ne veux même pas essayer de comprendre. 

- C'est une blague de très mauvais goût j'espère. Tu ne viens pas sérieusement de te réjouir de l'accident d'Addison ?! Dis-je en criant presque. 

- Non je ne me réjouie pas, c'est vrai, c'est triste blabla... Mais je dis seulement que cela a facilité ta grande réussite ! Elle sourit de plus en plus, ce qui me coupe le souffle. 

Comment peut-elle seulement concevoir d'être heureuse de l'accident de ma meilleure amie, qui au passage lui aura sûrement coûté son sport, sa bonheur, le simple fait de marcher, sa vie ? Je ne supporte plus cette manière que ma mère a de préférer mon sport à moi, où à tout autre chose. Je suis choquée de ses mots, fatiguée de son attitude. Je ne sais même pas si je suis en colère pour ce qu'elle vient de dire, où si j'ai seulement pitié de son immense manque de respect. Je remercie le ciel pour m'avoir donné l'incroyable chance d'adorer lire car je pense que les livres que j'ai lu m'ont donné de meilleure leçon de vie qu'elle ne l'aura jamais fait. Les grands auteurs, les scientifiques, les philosophes et les mathématiciens dont j'ai dévoré les ouvrages m'ont plus élevé que ma propre mère ne l'aura jamais fait. 

Je tourne les talons brusquement et je commence à courir en prenant une direction au hasard. Comment peut-elle dire ça ? Au loin, j'entends ma mère qui tente de me crier dessus. Elle me dit de revenir. Mais je ne la laisserais pas prendre encore une fois une décision à ma place. Ce temps est révolu. Depuis toujours elle décide de ce que je mange, de ce que je fais, de comment je dois être. Maintenant c'est fini. Je tourne à droite. Des larmes commencent à dévaler mes joues. Mon esprit est embrouillée, je déteste ça. Je tourne à gauche. C'est ma faute si Addison doit dire adieu à son rêve, et c'est moi qui suis sur le podium. Ashley avait raison depuis le début. J'accélère. Dans les rues désertes, le bruit de mes pas qui martèlent le sol résonnent. Ce n'était pas la faute d'Addison, et ça ne l'a jamais été. Depuis toujours elle tente d'être parfaite, de mener une vie parfaite avec des parents parfaits et une avenir parfaitement tracé. Et toute cette perfection était en quelque sorte un point de repère pour moi. Maintenant tout s'écroule. Tout est tellement injuste. Ça fait presque 20 minutes que je cours à toute vitesse. Je commence à être fatiguée. Je décide de ralentir. Je ne sais même pas où je suis. J'ai couru sans réfléchir. À l'horizon, la nuit commence à tomber. Je vois le soleil qui, lentement, disparaît derrière de longues collines, donnant au ciel ses teintes roses et orangés que j'adore tant. Je décide de marcher un peu. Je tapote la poche arrière de mon jean : pas de téléphone. Super, j'ai du l'oublier dans les vestiaires. Donc maintenant, je suis triste, en colère, fatiguée, perdue et sans téléphone. Tout ce qui me reste c'est cette maudite médaille que j'ai gardé dans l'autre poche de mon jean. J'en peux plus. Je parie que ma mère se fiche royalement de savoir où je suis du moment que je suis à l'heure à mon entraînement. Je lance un coup de pied dans le sol. Ça fait plus mal que prévu. J'me sens ridicule. Je suis là, seule dans le noir, perdue à donner des coups de pieds dans le sol, ce qui est totalement stupide puisque pour rentrer chez moi je vais devoir marcher et si j'ai mal aux pieds ça va être difficile. Je me déteste ! J'ai envie de crier. Il y a trop de chose qui se passe en même temps et même si cette petite course m'a apaisée, je suis toujours bouleversée. Il fait froid à présent. Je ferme les yeux un instant en essayant de me remémorer mon chemin. Je sens de la chaleur sur mon poignet, et des doigts qui si referment lentement. Un long frisson parcours le bas de mon dos : c'est Lucy. J'ouvre les yeux puis me retourne pour lui faire face quand l'un des lampadaires s'allume. Puis une sonnerie retentit. La sonnerie de... mon téléphone ?! J'essaie de déterminer d'où provient ce petit bruit répétitif et je découvre sans attendre que c'est de la poche de ma veste où bien-sûr je n'avais pas pensé à regarder. Lucy me contemple de ses magnifiques yeux verts qui me semblent plein de compassion. Puis, sans rien dire, elle me prend doucement dans ses bras. Je me sens tout à coup sereine. La chaleur de ses bars qui m'entourent gagne peu à peu tout l'espace de mon corps. Ses cheveux divaguent lentement sur mon visage. Leur odeur, parfum délicat de lavande, calme l'ardeur de ma colère. Il a suffit que Lucy arrive pour que tout s'arrange. Je ne suis plus dans le noir, j'ai retrouver mon téléphone, je ne suis plus seule, je n'ai plus froid. Nous restons ainsi longtemps. Lorsque nous sommes ensemble, je me sens complète. 



Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant