Chapitre 43 : Lucy

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J'arrive pas à y croire. Putain. Elle a honte de moi ? Elle a honte de nous ? Et puis pourquoi elle pleurait ? Et surtout à qui a-t-elle dit "Je t'aime". Visiblement pas à moi. Putain. Pourquoi cette fille est-t-elle si compliquée ? Il faut que je frappe dans quelque chose. 

J'entends le bruit de la porte qui se referme derrière moi. Elle ne m'a pas rattrapé. J'aurais aimé qu'elle le fasse. J'avance dans le haul. Amy me dit bonjour avec son habituel petit sourire tout aussi faux que ses ongles. J'ai l'impression que tout le monde porte des masques. Ça m'énerve encore plus. Je traverse l'entrée en lui adressant un signe de la tête. J'entre dans le gymnase et je hâte le pas pour arriver plus vite aux vestiaires. Je me change en quelques minutes et je sors pour rejoindre le praticable puisque l'agrès par lequel nous commençons est le sol. Je retire ma veste et je commence les étirements. Mon regard s'attarde sur la porte d'entrée lorsque je vois les autres filles qui la franchissent. Ashley en tête, Liwia qui ferme la marche et qui regarde ses pieds. Lorsqu'elle me voit elle marque une pause puis secoue la tête et avance d'un pas décidé vers les vestiaires. Cette compétition ne va pas être de tout repos, je descend en grand écart. La colère monte en moi quand je les entends rire au bout du couloir, je m'allonge sur ma jambe. Elle arrive en groupe et s'installe à coté de moi, je passe en facial. 

L'échauffement se termine. Liwia me jette quelques regards en coin mais semble se tenir à distance. Pendant un bref instant j'en viens presque à me demander si ce n'est pas moi la fautive. Mais non, c'est bien elle. Ce n'est pas moi qui ai honte de notre relation. Ce n'est pas moi qui ai retiré ma main. Je souffle un peu. Je ne comprends pas, et j'ai horreur de ça. 

July avance vers nous. Elle nous explique le déroulement de l'épreuve et poursuit avec quelques encouragements. Liwia n'est qu'à quelques mètres de moi et pourtant j'ai l'impression qu'elle est loin, vraiment loin. Nous nous mettons en ligne, elle se place derrière moi. Nous regardons l'ordre de passage qui s'affiche, elle se balance sur ses pieds. Liwia est la première à passer, je suis juste après. Cela ne fait que renforcer la rivalité qui se dresse déjà entre nous. Rien qu'à voir sa posture et sa manière de se tenir je peux aisément deviner que la colère monte en elle. Il faut vraiment que j'assure si je veux pouvoir la battre. Elle jette sa tête en arrière et ferme les yeux en passant ses mains derrière son cou. Lorsqu'elle les ouvre, ils ne sont plus noisettes, mais ont pris la couleur du feu ou du moins j'en ai l'impression durant un court instant. 

Elle se place au milieu du praticable. Les juges disent son nom, elle salue et prend sa pose de départ. Sa poitrine monte et descend lentement. Elle tente de se calmer et de respirer doucement. Je meurs d'envie de l'encourager mais une partie de moi m'en empêche. Cette partie de moi qui brûle dans mon corps tout entier et qui pour une fois surpasse cette autre moitié qui me hurle qu'elle l'aime et qu'elle la trouve magnifique. La lumière tombe légèrement sur ses épaules et illumine sa nuque. La musique commence. Elle joue avec ses mains, ses bras qui animent sa chorégraphie. Je la trouve splendide. Bientôt, elle arrive dans le coin d'une des diagonales et s'élance pour effectuer ses figures. Elle martèle le sol de ses pieds et de ses mains. Sa vitesse et sa force n'ont d'égales que sa beauté. Elle exécute ses sauts, ses pirouettes avec une aisance et une facilité flagrante. 

J'ai l'impression que cela fait seulement quelques secondes que je la regarde mais elle a déjà terminé. C'était bien trop court à mon goût, mais surtout bien trop parfait. Mon corps tout entier me brûle et je suis partagée entre cette envie irréfrénable de la battre, d'être la meilleure et cette autre que je ne saurais qualifier. Ce désir que je ne peux nommer de l'avoir pour moi et moi seule. Elle me frôle en rejoignant les autres tandis que je les quitte pour me diriger vers le praticable. 

Je tente d'oublier le bruit incessant de la foule autour de moi, qui s'agite, comme si elle grouillait et se décuplait en une masse effrayante. Je n'ai jamais aimé être entourée par beaucoup de personne. J'ai l'impression d'étouffer. Je balance mon regard et je tente de trouver un point d'ancrage. Je respire. Je ne comprends pas vraiment pourquoi je suis angoissée. Jusqu'à ce que mes yeux croisent la forme harmonieuse de son visage au nez froissé avec son air concentré. D'un coup, c'est comme si la tension s'était retirée de mes épaules, mais c'est seulement pour mieux se condenser en volonté de gagner quand je croise son regard plein de rivalité. 

Je m'avance au milieu du praticable. Ma musique commence. Tout s'accélère. Je m'accorde avec la mélodie qui accompagne mes pas, puis vient le tour de la première diagonale. Je me réceptionne légèrement et je continue aussitôt. Je veux vraiment gagner. Je garde mes jambes tendus. Le dos droit. Les muscles arqués comme si ils étaient des dizaines d'arcs armés à l'intérieur de mon corps près à décocher leurs flèches. Je pars pour une série de saut et je poursuis avec toujours plus de rage, d'ardeur, de puissance et cette forme de chaleur intense qui anime mes mouvements précis et rapides. Je n'entends plus que les sons étrangement familiers de mes pieds et mes mains qui assaillent le sol et de mon corps qui fend l'air. Comme si je menais un combat. Un combat contre qui ? Je pense ne l'avoir jamais vraiment su. Peut-être est-ce simplement parce que c'est contre moi même. 

J'arrive au bout de la dernière diagonale. Je met toute ma puissance dans mes dernières acrobaties et j'arrive, pilée sur le sol. 

Je suis essoufflée. Je salue les juges. Il me faut une pause. Nous avons quelques minutes avant de changer d'agrès. Je me dirige vers les toilettes. Je prends une grande inspiration et me regarde dans le miroir. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je me retourne en m'adossant sur le lavabo. Je ferme les yeux. 

J'entends des pas qui se dirige vers moi, timides. Je sais déjà de qui il s'agit. Je reste immobile malgré mon corps qui me hurle de bouger. Elle s'approche de moi, assez pour que je puisse sentir son odeur apaisante. Dans le silence qui règne autour de nous je pourrais presque entendre son cœur battre. Je ressens une connexion tellement profonde et intense avec Liwia. D'un coup, ses lèvres s'empare voluptueusement des miennes. 

Des sentiments étranges me gagnent et me consument, rentrant en collision au plus profond de moi-même. 

C'est sûrement ça, qu'on appelle être passionnée. 

Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant