Chapitre 53 : Lucy

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De Liwia :

Je fais quelque chose pour toi. Je t'aime aussi. Je reviens bientôt.

Elle fait quelque chose pour moi ? Je lève brusquement la tête de mon oreiller. Elle revient bientôt ? Comme ça elle revient bientôt ? Ça fait une éternité que j'attends là à contempler le blanc des murs, n'ayant rien d'autre à faire que d'imaginer toutes sortes de choses plus farfelues les unes que les autres sur mon lit. Que peut-elle bien faire "pour moi" ? C'est quand bientôt ? Une multitude de questions brouillent ma vue. Elles passent devant mes yeux, se confondent en un brouhaha sordide.

Il faut que je me bouge. Ce soir nous avons entrainement à 18h. Nous avons eu le début de l'après-midi de libre mais il est déjà 15h46. Je peux très clairement dire qu'en ce moment la gymnastique n'est pas une priorité pour moi. C'est comme si j'avais perdu l'envie, je hais la pression maintenant que nous sommes dans l'élite. J'adore les entraînements avec July mais ils se font de plus en plus rares, la fédération est sans arrêt sur son dos. Ils trouvent justement qu'elle n'est pas assez dure avec nous. Que nous ne devrions pas avoir le droit de sortir avec quelqu'un, qu'elle devrait d'avantage surveiller notre alimentation, qu'il faudrait renforcer la musculation et qu'elle devrait multiplier les semaines d'entrainement intensifs... En clair, ils veulent nous enlever toutes nos libertés et ils trouvent que July est une mauvaise coach avec de mauvaises méthodes. C'est d'ailleurs sûrement pour ça qu'elle entraîne les 5 meilleures gymnastes du pays.

Je déteste tout ce qui touche au système. Ils essaient de nous piéger de toutes les manières possibles, je voudrais qu'on me laisse vivre. July se bat pour nous, et pour nos droits. Il faut dire qu'en effet c'est rare d'avoir autant de marge de manœuvre que nous lorsqu'on arrive à un si haut niveau de compétition. Je crains qu'on perde bientôt tout ça. Puis, ce n'est pas évident pour elle, c'est beaucoup de stress que d'avoir autant de gymnastes aussi haut classé et se battre contre la fédération national, c'est elle seule contre tous. Elle a bien du courage notre July.

Je n'ai pas envie d'aller à l'entrainement et c'est de pire en pire chaque fois que July n'est pas là. C'est Hélène qui la remplace. Qui est Hélène ? Et bien c'est une française qui se croit tout permis et qui est absolument hargneuse et détestable avec nous. Elle jalouse de ne pas avoir pu aller aussi loin dans sa carrière. Pourtant ce n'est pas comme si elle allait avoir 40 ans... En fait si, c'est exactement ça. Elle pense pouvoir nous apprendre un sport qu'elle n'a jamais était capable de pratiquer correctement, enfin bon.

Je me lève péniblement de mon lit et décide d'aller me balader pour prendre quelques clichés, avec un peu de chance je retrouverais Liwia sur le chemin. Depuis près d'une semaine je m'essaie à la photo.

Dans la rue qui borde l'entrée de ma maison je contemple les arbres. Il fait chaud. Le temps se pare des belles couleurs de l'été. Sur la chaussée mes pas ont un bruit agréable. J'avance en direction de la ville. 30 minutes de marche, c'est ce qui me sépare du centre.

Je trouve le cadre très lumineux, je prends quelques photos des arbres, d'autres avec des feuilles au premier plan. La lumière transperce la végétation d'une façon délicate et douce. J'explore les possibilités de mon appareil photo dont le nom des options n'a pour l'instant aucun sens à mes yeux. Il y a tellement de nouveaux langages à apprendre dans l'art. J'adore ça, apprendre.

Plus je marche, plus je prends des photos et plus l'idée de retrouver Liwia m'obsède. Je la vois au travers du visage de chaque passant, de chaque geste. Elle me manque, j'ai besoin de savoir ce qu'elle fait de manière presque abusive. Je presse le pas. Je ne sais même pas si je pourrais la retrouver au centre-ville, ni même si elle s'y trouve. Pourtant je ne vois pas trop à quel autre endroit elle pourrait être. 

J'ai une impression étrange, comme si quelque chose de bizarre se tramait. Je n'ai jamais vraiment compris comment fonctionnait ces choses là, l'instinct, les impressions. Est-ce vraiment quelque chose en lequel on peut "croire" ? C'est un ressenti qui nous vient des tripes, des gènes. Parfois j'écoute ce fameux instinct sans même m'en rendre compte, dans la réalité je pense qu'il est un peu présent dans chacune de nos décisions. D'autres fois, je fais exprès de ne pas l'écouter, comme un pied-de-nez à moi même, pour tenter de nouvelles expériences et contredire la vie. 

Il y a à peine quelques heures il pleuvait, maintenant le soleil a envahit l'espace. J'arrive au niveau du premier grand magasin qui annonce l'entrée dans le centre. C'est bondé de monde, les gens jaillissent des boutiques des sacs dans les mains. Je prends des photos noirs et blancs, une bâtisse en pierre parallèle aux autres encadrent la foule qui court hors des magasins. Je regarde le cliché de plus près en revenant sur les photos prises dans la journée à partir de l'appareil. C'est à ce moment là que je la vois. En plein centre de l'image, seule dans le fond qui marche doucement en regardant autour d'elle. Elle rend la photo lumineuse, elle rayonne. Elle est belle, si belle et naturelle. Ses cheveux flottent autour d'elle, la orne. Elle a les mains dans les poches de son sweat. Sur la photo elle sourit et a le regard qui porte légèrement vers le haut. C'est flagrant on ne voit qu'elle, je ne vois qu'elle. J'ai capturé ce si belle instant de sa vie. 

Je lève les yeux de l'appareil pour la contempler en vrai. Elle a les joues roses, elle est douce. Je profite du fait qu'elle ne puisse pas me voir pour prendre d'autre photos d'elle. En contre-plongé pour que sa tête soit dans le ciel sur la photo, d'autres où elle tourne la tête. Elle est magnifique. 

C'est à ce moment à qu'elle me voit. Son visage change d'expression, un sourire étire ses lèvres. Je la redécouvre comme à chaque fois. Elle court vers moi et d'une façon si adorable, une façon qui lui est propre et que j'affectionne si particulièrement de faire un geste si symbolique à mes yeux. 

Elle me saute dans les bras. 

À cet instant je sais, au fond de moi, dans mes tripes, dans mes gènes. Par l'instinct, que peut-importe combien ce que nous avons eu à vivre a été dur, peut-importe de quoi sera fait l'avenir, ce sera elle et moi dans ce cadre d'une rue, intemporelles, dans les bras l'une de l'autre, en s'enlaçant tendrement. 

Lunatic MomentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant