- Allo ?
La voix d'Addison m'avait manqué.
- Hey, il y a quelqu'un au bout du fil ? Sa voix continue de sortir du téléphone que je tiens dans ma main.
J'ai l'impression d'entendre mon cœur qui bat dans mes oreilles, si fort que je ne m'entends même pas lui répondre :
- Oui, il y a quelqu'un. Je ne suis pas sûre qu'elle ai réellement entendu ma voix.
- Ah, c'est rassurant.
Maintenant il n'y a plus aucun son. J'ai toujours trouvé drôle la manière dont les situations ne cessent de s'inverser perpétuellement. D'abord sa voix, la mienne, plus rien. Pourtant, j'ai tout sauf envie de rire.
- Addison ? C'est vraiment toi ? Ma voix tremble, je tremble.
J'entends son souffle qui s'accélère dans le téléphone.
- Oui. Enfin, je ne suis plus très sûre d'être vraiment moi en ce moment. Elle soupire.
Le problème de cette phrase, c'est que je la comprend. Très bien, trop bien, je comprends chacun des mots qu'elle a prononcé et c'est sûrement pour cette raison que les larmes envahissent mon visage et que tout s'accélère et se ralentit en même temps autour de moi. Je porte ma main à ma bouche, comme un réflexe. Je mord ma paume pour m'empêcher de pleurer.
- Tu sais, c'est plutôt moi qui devrait pleurer. Sa voix est étrangement calme.
Je ne répond pas. Elle continue :
- Arrête de te mordre la main, j'ai déjà compris. Ce n'est pas moi que tu vas tromper avec ça.
Addison me connait trop bien. Je relâche la pression de ma mâchoire et je laisse tomber mon bras qui vient reprendre sa place, parfaitement aligné avec mon corps.
Je n'arrive pas à parler. Les images me reviennent en tête. La grande chorégraphie que j'ai déclenché. Sa chute, son corps qui s'écrase au sol. L'ambulance. Les lumières qui dansent sur les murs blancs du club. Le bruit de la sirène. Les gens qui crient. Moi, qui crie. Les gens qui me poussent. Moi, qui suis paralysée et elle, inconsciente sur le sol. Le souffle qui s'accélère. La réalité qui ralentit. Le spectacle horrible. Tous les ambulanciers, synchronisés pour l'évacuer. Son corps brisé qu'ils soulèvent. La culpabilité qui m'écrase. Tout le monde qui s'agite, qui court et elle qui ne pourra plus jamais faire ce qu'elle aime. Le final. Mon amie qu'ils emportent et sa carrière avec eux. Les lumières qui s'éteignent. La représentation est finie. Les gens partent. Et il ne reste plus que moi, seule.
- Tu n'as pas besoin de parler. Je voulais juste vous souhaitez bonne chance pour la fin des qualifications. Je sais que vous avez cartonné pendant la première partie de l'épreuve...(elle marque une pause) et... Je voulais vous dire que je suis désolée de ne pas vous avoir appelé plus tôt. Vous représentez tout ce que je ne pourrais plus jamais avoir et ça me faisait juste trop mal de le réaliser. Addison reste calme et raisonnée même dans un moment comme celui-là.
- Je suis désolée. Ce sont les seuls mots que j'ai réussi à dire.
- Ce n'est pas ta faute Liwia, tu ne pouvais pas deviner ce qui allait se passer.
Sa sagesse et sa maturité m'étonneront toujours. Elle vient de perdre toute chance de reprendre sa carrière, sa passion, sa raison de vivre. Peut-être qu'elle ne pourra plus jamais remarcher, et pourtant, elle reste imperturbable, réfléchit et d'un calme sans égal... Ou peut-être a-t-elle seulement sa manière à elle de se mordre la main ? On a tous notre façon de cacher qu'on a mal, qu'on est brisé. Certains s'infligent des douleurs physiques, d'autres se camouflent dans la masse des hypocrites avec des sourires. D'autres encore cherche l'originalité pour oublier qu'au fond, ils portent encore plus de masques que ceux à qui ils ne veulent pas ressembler. On a beau vouloir échapper à ces cases qui font de nous des êtres ordinaires, c'est peut-être bien l'originalité qui nous rend identiques.
- Liwia ? Tu es toujours là ? Addison me tire de mes pensées, encore une fois.
- Oui.
- Bon, souhaite bonne chance aux filles pour moi et fais moi plaisir, ne laisse personne te battre aux barres, je te remet ma place.
Ses mots évoquent en moi une tristesse immense qui se mêle à la joie de lui parler.
- Je t'aime Addi, tu le sais hein ? Je connais la réponse, mais pour une raison qui met inconnue, j'avais besoin de l'entendre de sa bouche.
- Oui, bien sûr. Moi aussi.
Juste avant d'entendre un long souffle de sa part, elle raccroche. Je suis presque sûre qu'elle va pleurer maintenant que je ne peux plus l'entendre.
Je sens des doigts qui enlacent les miens. Je connais maintenant bien cette chaleur, ce grain de peau et cette manière si agréable et douce qu'elle a de caresser le dos de ma main avec son pouce. Je ne retourne et découvre, comme je l'avais deviné, Lucy qui sourit devant moi. Au fur et à mesure qu'elle scrute mon visage comme elle a tant l'habitude de le faire, le sourire s'efface pour laisser place à une expression inquiète. D'un voix non assurée elle murmure :
- Tu pleures ?
Ses doigts se resserrent autour des miens.
- Je...
Quand je veux parler pour lui répondre je vois le reste de l'équipe qui arrive au loin en voiture. Dans un réflexe je retire vivement ma main de celle de Lucy.
Mince. Pourquoi j'ai fait ça ? On est ensemble maintenant. Je ne devrais pas avoir peur du jugement de mes amies ? Je ne comprends pas mon geste et Lucy grimace puis tourne la tête vers les autres filles qui arrivent. Lorsqu'elle comprends elle souffle et je regrette déjà mon geste. Elle tourne la tête et se retourne.
- Non ! Lucy ! C'est pas ce que je voulais faire ! Excuse moi ! Je tente de rattraper ma bêtise.
Elle se dirige vers la porte et ajoute :
- C'est bon, j'ai compris.
Elle pousse la porte de verre et au moment où je m'apprête à la retenir les filles m'appellent de l'autre côté. Je tourne la tête vers elle un instant. Puis mon regard revient sur la porte par laquelle Lucy est partie, je vois qu'elle a disparut. Je soupire.
Merde.
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Lunatic Moment
Roman d'amourLiwia Miller est une gymnaste de haut niveau, elle s'apprête à entrer dans l'équipe nationale Américaine quand un événement qui va bouleverser sa vie se produit. Une jeune fille brune du nom de Lucy Manchester arrive dans son club. D'abord rivales...