36. Marque d'affection

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— Fermez derrière moi.

Le gardien fronça les sourcils, peu certain de devoir exécuter mon ordre.

— Je vous en prie, elle ne me fera aucun mal, elle ne le peut pas.

Il jeta un coup d'oeil en direction de la fille prostrée au sol et dont on ne voyait pas le visage. Une semaine plus tôt, il nous avait été annoncé la capture d'une jeune femme déjà faite prisonnière par d'autres, et qu'on savait étrangement liée à moi. Elle avait été découverte dans un temple d'une cité abandonnée, et seul mon nom avait été prononcé, sans plus d'explication. Au bout du troisième jour, j'avais insisté pour la rencontrer, mais jamais elle ne m'avait regardé. Pas une seule fois. Je devais pourtant la faire parler, je m'y étais engagée. Mon père avait accepté que j'endosse ce rôle, après plusieurs heures de négociation mais le délai arrivait à expiration. Tout ce qu'il fallait, c'était qu'elle me dise ce qu'elle savait!

Le garde finit par obéir à contre-coeur, et je voyais ses yeux nous fixer à travers le petit fenestrons de la porte.

Disséminé sur les dalles, trois écuelles en étain étaient encore pleines et le pain n'avait pas non plus était consommé, ni même l'eau. J'aurais presque pu croire qu'elle était morte, mais le tintement occasionnel de sa chaîne était là pour me prouver qu'elle était bel et bien en vie.

J'apportais près d'elle le pain et l'assiette de laquelle s'échappait une odeur exquise et de la fumée, puis, pour la première fois, posais ma main sur son épaule. Elle sursauta, et je sentis ses os bouger.

Par Zeus, comme elle était maigre...

— Tu devrais manger, tu ne tiendras pas longtemps comme ça.

— Et si je ne voulais pas rester en vie?

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me réponde si vite, surtout après le long silence qu'elle m'avait infligé jusque là. Je pouvais presque entendre son corps craquer comme un vieux parchemin quand elle se décida à me faire face. Ses yeux cernés mais étonnement expressifs étaient aussi brun que ses cheveux, sa peau blafarde épousait d'un peu trop près le squelette de son visage et ses lèvres étaient blanchies et fendues par la déshydratation.

Cette fille devant moi, sans être mon reflet, me ressemblait plus que je ne l'aurais cru.

— Si je voulais que ça s'arrête, le plus tôt possible? Si être enchaînée comme du bétail et impuissante ne me convenait pas?

— Tu veux mourir? Lui demandais-je. Je n'y crois pas une seconde.

— Comment pouvez-vous croire quoi que ce soit me concernant, vous ne me connaissez pas!

Je contemplais ses iris qu'elle avait plantés dans les miens, et voyais aisément de quoi elle était capable.

— Je sais à quoi ressemblent l'abandon et la résignation, et tu n'en portes pas les traits. J'ai vu des hommes sur leur lit de mort, attendant leur voyage sur le fleuve et des femmes ayant perdu leurs entrailles laisser la vie les quitter. Tous avaient un point commun.

Elle ne me demanda pas lequel, mais elle en attendait pourtant la réponse.

— Leur regard, était aussi vide que le néant. Plus aucune lueur n'y brillait. Mais le tien...

— Que vous dit le mien?

Elle m'avait posé la question sur un air de défi. Pas une seule fois elle n'avait parue effrayée ou intimidée, et j'avais l'intime conviction que cette femme devant moi n'abandonnerait pas malgré tout ce qu'elle pourrait dire! Si elle respirait encore, ce n'était pas pour rien.

PERSEPHONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant