Chapitre 1 - Des regrets et des zardes

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— Mademoiselle, réveillez-vous ! Il est temps de vous apprêter : nous arrivons bientôt.

— Je ne dors pas, dis-je dans un murmure sans décoller mon front de la vitre.

Derrière le carreau défile un paysage crépusculaire où je ne reconnais plus rien de mon sud familier : ni ses vertes prairies, ni ses forêts pleines de vie, ni même ses champs fertiles ou ses paisibles bourgs joyeux. Les yeux brûlants, la gorge douloureuse, je tente en vain de me persuader que ça va aller.

— Allons ! Préparons-nous !

Mamina est adorable, mais son enthousiasme m'épuise. Surtout, elle semble la seule, avec Cassandra et Circe, à se réjouir que j'aie été appelée.

Un honneur, paraît-il, même si ce n'est pour moi qu'un arrachement cruel pour une destination et un but plus que brumeux. Je coulais une vie si paisible au Levant, au milieu de mes livres et auprès de mes amies : je n'avais absolument aucun désir d'une autre existence, moi.

Ma vieille nourrice, elle, ne semble en revanche pas pouvoir contenir les incessantes démonstrations de sa joie, encore toute pleine de gratitude qu'elle est pour ce destin qui a élu parmi tant d'autres sa petite protégée, et je revois encore mes deux amies, avant mon départ, qui m'enviaient tout autant qu'elles étaient excitées que j'aille vivre à la capitale. Elles veulent que je leur écrive tous les jours... J'aurais préféré demeurer auprès d'elles dans notre bon Levant plutôt que de devoir leur dire adieu.

Peut-être suis-je la seule que cet Appel à la cour de l'Empereur désespère, finalement.

Quoique...

Quand mes deux servantes ont appris la nouvelle, elles n'ont pas exactement sauté au plafond non plus : Gone s'est plongée dans un silence craintif, et Meth m'a adressé un sourire si compatissant que j'ai eu l'impression que mon sang se glaçait dans mes veines. Impossible d'en discuter avec elles : toutes mes questions se heurtent à un obstiné :

— C'est un honneur pour toute votre famille que Mademoiselle ait été Appelée.

Du coup, impossible de savoir clairement ce qui m'attend.

Mais je ne suis pas idiote, non plus, et les rumeurs nous parviennent même si loin d'Altis : les jeunes femmes Appelées sont destinées à devenir les épouses des grands de l'Empire. Mais impossible d'en savoir davantage, sinon qu'elles ne reviennent plus chez elles.

Et c'est ça qui me crève le cœur. Même si le fait que nous puissions emmener une suite restreinte avec nous me console un peu.

Mamina n'a pas hésité un instant à m'accompagner : elle est ma gouvernante, ma nourrice et ma mère depuis si longtemps qu'elle n'aura de repos que lorsque ma situation sera établie, et elle compte bien jouir de ses vieux jours auprès de mes enfants. Pour Gone et Meth, cela n'a pas non plus posé de problème, tant la compensation de l'Empire est généreuse pour les familles de ceux qui restent — mais leur enthousiasme est de toute évidence discutable, et ce n'est pas sans une once de culpabilité que je les force à m'accompagner. Mais il était inconcevable que je parte sans elles : elles sont l'incarnation vivante et transportable de mon petit univers familier, et j'ai autant besoin d'elles que d'air pour respirer.

Pour oncle Dipe, je sais que ça a été plus difficile. Cadet de la famille, il était le garant du patrimoine familial depuis la mort de mes parents et, dernier majeur Goujak à pouvoir y prétendre, le seul habilité à gérer mon futur héritage. Mais je suis aussi sa seule famille, et la perspective de me voir épouser un autre destin l'a décidé : à quoi bon en effet prendre soin d'un héritage sans héritier ? Alors, il a accepté la compensation de l'Empire et revendu notre manoir aux propriétaires voisins, qui ont été ravis de cette manne et ont loué la générosité de l'Empereur. Et il a préparé lui aussi ses bagages pour un voyage sans retour vers l'inconnu.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant