Je serre les dents de toutes mes forces, agrippée à Mamina et à la poignée du drak comme si ma vie en dépendait. En face de moi, Meth a les yeux exorbités par la peur, et Gone a blotti son visage contre la poitrine de son aînée. Je les entends psalmodier entre deux cris de terreur des prières incompréhensibles à l'une ou l'autre de ces divinités qu'elles affectionnent et que je mélange sans cesse. Elles non plus ne semblent pas croire que nous allons y survivre.
Ce qui n'est pas loin d'être le cas.
Je découvre en effet ce que m'a caché oncle Dipe : un drak décolle en douceur, certes, et il plane sans heurts, d'accord, mais l'atterrissage, lui, est bien plus brutal, et nous hurlons toutes en chœur dans la cabine volante à qui le sol vient de se rappeler avec une violence inattendue, et qui rebondit encore et encore sur la terre battue en poussant des gémissements terribles qui me font craindre un éclatement imminent du drak — et nous avec.
Enfin, notre martyre touche à sa fin et tout s'immobilise soudain.
C'est Mamina qui se reprend la première :
— Recoiffez-vous et redressez-vous, mesdemoiselles ! À partir de maintenant, vous n'êtes plus au Levant, mais à Altis, la capitale du Cercle de fer, et vous représentez désormais les intérêts de la famille Goujak autant que l'image de notre province : montrez-vous digne de l'honneur qui vous est fait !
Et, joignant le geste à la parole, elle recoiffe fébrilement sa folle tignasse poivre et sel.
Un silence de mort accueille ses paroles.
Jusqu'ici, ma vie sur la Montagne Décapitée n'était qu'un projet lointain, un avenir irréel. Soudain, la vérité m'éclate au visage comme une carocle trop mûre : nous sommes à Altis, ça y est, et ma vie s'achève.
Du moins celle qui était la mienne et que j'aimais.
Un coup sec au carreau nous fait sursauter dans un cri.
— Mesdames, bienvenue à Altis !
Oncle Dipe nous ouvre la portière et nous invite à descendre d'une de ses révérences dont il a le secret, irrévérencieuses à force d'outrance. Il a les traits tirés par la fatigue du voyage, mais ses cheveux blancs et le poids des années n'entament pas sa vivacité et son charme de jeune homme. Toutefois, je vois de suite que son sourire est forcé : derrière lui, des hommes en armure noire encadrent notre escorte dérisoire dans une immobilité menaçante.
Mamina descend la première, tenant contre elle les larges pans de sa longue robe bleu nuit de vieille veuve, mais rosissant comme une jeune fille lorsqu'oncle Dipe lui tend sa main pour l'aider.
Dire qu'ils pensent que je n'ai toujours rien compris à leurs petits secrets d'alcôves chuchotés dans la nuit des corridors du manoir !
Je la suis, et il garde ma main serrée dans la sienne un court instant pour me rassurer. Je le remercie du regard, incapable encore de sourire tant mon sang bat à mes tempes, et tant je dois me concentrer pour ne pas grelotter de peur.
Gone et Meth descendent à leur tour et se placent derrière Mamina et moi. Nous échangeons des regards inquiets et des sourires crispés tout en cherchant des repères autour de nous.
Ou une échappatoire.
Oncle Dipe nous précède, notre petite ambassade encadrée des six gardes de notre escorte personnelle, mais nos soldats paraissent être des enfants armés de jouets à côté des guerriers noirs et imposants de la citadelle qui nous environnent.
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La Montagne Décapitée
FantasyUn honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être Appelée ? D'être offerte en cadeau à un grand de l'Empire ? Arrachée à mes amies, à ma maison, à ma famille, à ma précieuse bibliothèque pou...