Melinella chevauche en tête du cortège vervalien. Chevaucher est toutefois un peu prétentieux, eu égard à la mule qui la porte, mais c'est bien elle qui mène ses gens.
Ils sont près de deux cents à faire le déplacement depuis Verval et les hameaux alentour. Deux cents hommes, femmes et enfants. A bien y regarder, d'ailleurs, ce sont surtout des femmes qui ont mis la route sous leurs pieds. Il faut dire que ça leur parle, tous ces jeunes hommes envoyés à la mort, ces Gardes Noirs si prestigieux du sang desquels on veut abreuver la terre aussi bien qu'avec celui de n'importe quel pourceau sans valeur.
Frère, père, fils, neveu, cousin, oncle : l'Empire pioche largement dans le cœur des femmes pour composer l'armée de pions qu'il envoie au combat sans se soucier de leurs noms, de leurs visages ou de ceux à qui ils vont manquer.
Voilà pourquoi tant de femmes ont répondu à l'appel de la Mère-Impératrice. Parce que, pour faire la paix, on n'a pas besoin d'épées, mais de sœurs, de filles, de mères, de cousines ou de tantes pour arracher des champs de bataille les semeurs de morts que deviennent les garçons sous l'anonymat de l'armure. Alors elles viennent reprendre les hommes qu'elles ont confiés à l'Empire pour sa sécurité et dont l'Empire maintenant voudrait précipiter le trépas dans sa folie guerrière vers leur chute à tous.
Étrangement, elle compte peu de guerriers, cette armée pacificatrice qui vient de Verval pour libérer l'Empire de la menace des combats. Pères humiliés d'avoir été écartés au profit de leurs fils, frères jaloux d'un aîné ou d'un cadet préféré par le trône, rival bien satisfait de voir disparaître un prétendant bien trop éclatant : ils sont nombreux, ceux qui prétextent être indispensables aux travaux des champs pour ne pas s'engager contre Marsius.
Pourtant, Mélinella est fière de mener cette troupe farouche et déterminée. Et elle ne doute pas qu'elles pèseront sur l'issue du combat.
Il faut seulement qu'elles arrivent à temps.
Or, les montures disponibles sont d'une lenteur désolante, et elle désespère de parvenir à Altis avant qu'il soit trop tard.
A ses côtés, Meth chevauche elle aussi une mule, mais blanche, alors que la sienne est noire. Elle n'y voit pas un signe de mauvais augure, mais elle n'y décèle pas plus un bon présage. D'ailleurs, elle n'est même plus certaine de comprendre les messages envoyés par le monde. D'ordinaire, même si elle le garde pour elle, elle sait interpréter les indices laissés par les forces invisibles : la danse de la flamme d'une bougie, le vol d'un insecte, le chant d'un oiseau, le parfum du matin... Avec l'âge, on développe comme une connexion avec le réel, une sorte de sixième sens.
Mais, aujourd'hui, rien.
Tous les possibles semblent ouverts.
Les meilleurs comme les pires.
Alors, oui, elles vont peser dans la balance.
En tout cas, elle l'espère et va tout faire pour.
***
Diane est heureuse.
C'est inepte, c'est incroyable, c'est inattendu, c'est incompréhensible, mais elle est heureuse.
Pour la première fois de sa vie, elle fait partie de l'existence de son père. Et ça répare quelque chose qui s'était brisé en elle depuis longtemps.
Côte à côte sur des chevaux de guerre, ils mènent une troupe armée de près de cinq cents hommes. Ce n'est pas suffisant pour faire reculer la Garde Noire, elle en est consciente, mais la fierté d'avoir accompli sa mission la remplit de bonheur, et elle est certaine que ce renfort aura un effet réconfortant sur les civils présents parmi les Mascules.
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La Montagne Décapitée
FantasyUn honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être Appelée ? D'être offerte en cadeau à un grand de l'Empire ? Arrachée à mes amies, à ma maison, à ma famille, à ma précieuse bibliothèque pou...