Chapitre 8 - Sous les feux de l'Empire

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Vingt minutes.

Peut-être même davantage.

Cela fait trop longtemps, désormais, que nous attendons derrière cette porte. La pièce où nous avons été entassées est sombre, tout juste suffisamment grande pour nous contenir debout serrées les unes contre les autres.

Berce sent la transpiration, mais, même si la chaleur est oppressante, je me sens glacée chaque fois que je croise son regard.

Le trac.

Je me souviens d'une discussion avec oncle Dipe, il y a longtemps. J'étais enfant, à peine six ans, peut-être, et nous avions préparé avec Mamina et les filles une petite représentation de chant et de poésie pour la réception organisée par chez nous en l'honneur des notables de Verval.

Je mourais de peur et ne voulais pas sortir de ma chambre.

Oncle Dipe est venu me trouver avant le repas, sûrement prévenu par ma nourrice, et il s'est assis en silence à côté de moi, sous la fenêtre, les genoux ramenés sous son menton, comme moi.

— De quoi as-tu peur, ma souris ?

J'adorais qu'il m'appelle ainsi. J'y sentais tout son amour pour moi, et j'avais grâce à ce surnom l'impression que je pouvais à tout moment me faufiler à l'abri de sa poche pour échapper ainsi à tout danger.

— Je sais pas, ai-je répondu.

Et c'était vrai. Le vide qui s'était ouvert en moi était un abîme indéfinissable et effrayant que je ne m'expliquais pas.

— Moi, je sais, a-t-il répondu doucement.

J'ai tourné ma tête vers lui, surprise qu'il connaisse mieux que moi les secrets de mon être intérieur, et je l'ai écouté avec une grande attention. Ses mots se sont gravés en moi.

— Quand on a préparé quelque chose et qu'on y a mis tout son cœur, ma souris, quand on veut faire plaisir et qu'on accorde de l'importance à quelqu'un au point d'essayer de se dépasser, on a toujours peur de décevoir, de blesser, de ne pas être bien compris. Mais tu dois savoir quelque chose d'important : celles et ceux qui t'aiment pourront sentir ton amour, et les gens qui ne te connaissent pas verront seulement le spectacle émouvant d'une enfant adorable qui a fait de gros efforts et mérite donc le respect. Tu as le droit de te tromper, et peut-être feras-tu moins bien que lors de vos répétitions, mais tes spectateurs n'en auront pas conscience et découvriront ta prestation pour la première fois. Si tu es sincère, honnête envers toi et eux, tout se passera bien.

J'ai acquiescé, dubitative, mais il avait raison. Le récital s'est très bien passé, et, même si nous n'avons pas égalé certaines de nos performances préparatoires, nous avons été applaudies.

J'inspire à fond pour retrouver la sensation de fierté de ce soir-là, cette assurance que nous confèrent nos succès. Ce soir, il suffit de paraître, et tout le plus dur a déjà été fait par Sandra et Magda. Je n'ai aucune récitation à assurer, aucun chant à faire entendre.

Tout va bien se passer.

Et puis, de toute évidence, les autres Appelées sont bien plus jolies et aguerries aux mondanités que moi. Je n'ai qu'à les imiter.

De la porte close nous parviennent les notes assourdies d'un concert d'instruments à cordes et de voix graves et joyeuses.

Soudain, la musique s'interrompt et un roulement de tambour vient résonner dans la pierre et nos corps, pulsant sa rythmique solennelle jusque dans notre sang.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant