Chapitre 15 - Dans le secret des entrailles de Fer

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Je jette un ultime coup d'œil vers le mur qui s'est refermé derrière nous, effaçant la dernière lueur vacillante des torches de la chambre confortable où nous avons quitté Julia et Merle. Les deux servantes devraient couvrir l'absence de leur maîtresse en cas de contrôle, mais moi ? Qui me couvrira ? La prochaine fois, je devrai y songer avant de fuguer de ma suite...

J'emboîte le pas à Diane, qui porte en avant une torche crépitante projetant sur la pierre des murs des ombres mouvantes.

A priori, Julia devrait occuper le lit de sa maîtresse en attendant notre retour. Personne n'ira compter le nombre des suivantes. C'est le lit de l'Appelée qui doit être occupé.

Je demanderai à Gone de m'y remplacer — nous avons la même corpulence.

Diane avance d'un bon pas, et je me presse pour bénéficier de sa lumière et éviter de déraper sur le sol grossièrement taillé. Le passage est étroit, et nous devons nous tenir l'une derrière l'autre, mais je la rattrape assez pour pouvoir lui demander, déjà un peu essoufflée, ce qu'est ce couloir caché dans la roche de la Montagne Décapitée.

— De vieux passages secrets reliant certaines parties d'Altis. On raconte que c'était pour permettre à l'Empereur de venir... faire connaissance avec les Appelées.

Elle a prononcé la fin de son explication avec dégoût, et je comprends malgré sa diplomatie qu'il est bien là question de viol et de droit de cuissage. Je me tais, atterrée.

Dans quoi m'as-tu envoyée, Oncle Dipe ?

Notre trajet dure de longues minutes, et Diane n'hésite à aucun des nombreux carrefours aveugles que nous traversons, descendant toujours plus profond dans les entrailles de la terre. Pour l'habituée des plaines et des forêts que je suis, accoutumée au voile éthéré de l'azur léger et lumineux ou bien brodé d'étoiles, me déplacer sous ce ciel minéral est une expérience angoissante : je sens la pesanteur dans ma chair, comme si le poids de cette montagne écrasait déjà ma poitrine, mes épaules, mes pensées. Et le fait de m'enfoncer toujours plus loin vers le bas me met au supplice.

Pourquoi je l'ai suivie ?

Après ses révélations, j'étais tellement abasourdie qu'elles m'ont laissé le temps de digérer, mais elles avaient quelqu'un à me faire rencontrer.

Tout, évidemment, me criait de retourner dans ma suite, la prudence comme la raison, la peur comme le devoir, mais il y avait cette fichue curiosité, hélas.

— Quelqu'un qui a connu tes parents, avait juste ajouté Diane, pour faire céder mes réticences.

Alors je les ai suivies dans sa chambre, elle a ouvert le mur, et nous nous sommes laissé avaler par l'obscurité de la pierre.

Alors, oui, je sais bien pourquoi je l'ai suivie, mais pourquoi ? Quelle est la vraie raison, celle qui fait que je ressens ce besoin de savoir ce que cette personne qui a connu mes parents peut me dire de ces étrangers dont je ne sais rien ? Au fond de moi, je sens confusément un scrupule, une honte acide : tendre vers mes parents biologiques, ces inconnus qui m'ont abandonnée pour la mort, c'est tourner le dos à celle qui m'a nourrie et câlinée, à celui qui m'a formée et aimée, c'est rejeter mes parents de cœur, ceux qui ont été là pour moi.

Mais c'est plus fort que moi. En plus — et c'est un prétexte qui m'aide à tenir à distance la morsure cruelle des molosses de la culpabilité —, Mamina et Oncle Dipe n'en sauront rien : Diane m'a promis que je serai rentrée avant l'aube.

Reste la poigne glacée du doute, malgré tout. Une sensation d'erreur, de danger qui ne me quitte plus depuis que ma guide a glissé avec assurance sa lame froide et tranchante contre la peau sans défense de ma gorge : est-ce que je peux vraiment me fier à elle ? Ou bien à ses amis auprès de qui elle me mène ? Après tout, je ne connais rien d'elle, et elle a montré deux qualités qui ont de quoi m'inquiéter davantage que me rassurer : elle nous connaissait, mes parents et moi, et elle m'a menacée avec un couteau dont elle sait manifestement se servir.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant