Tendue, je ne peux m'empêcher d'examiner la pièce. Moins grande que la plupart des salles de formation du Gynécée, le Laboratoire des voluptés est une sorte de salon meublé essentiellement de coussins colorés et visiblement moelleux jetés à même le sol, mais quelques meubles viennent néanmoins donner à l'ensemble une atmosphère plus civilisée : un lit à baldaquins mais sans tentures et assez grand pour accueillir une dizaine d'Appelées et leurs compagnons, une douzaine de chaises qui l'entourent pour un improbable spectacle invisible, une petite couchette individuelle en pierre devant un buffet fermé, et une sorte de balançoire fixée au plafond et agrémentée de chaînes et lanières.
Déconcertant. Déconcertant et glaçant.
Mais la peur est bien plus puissante lorsqu'on ignore la nature de la menace. Et je n'en ignore rien.
Berce m'a dit de la rejoindre ici au sortir du petit-déjeuner, et le regard paniqué de Mamina m'a convaincue que j'ai eu raison de lui taire mes secrets. Elle devient trop vieille, ou bien elle a toujours été trop tendre pour ce monde dur. Je lui ai souri, je l'ai prise dans mes bras et rassurée.
Tout ira bien.
Oui, évidemment, je sais que ce n'est pas vrai. Je sais ce qui m'attend, et mes certitudes forment un chemin d'horreur, certes, mais un chemin dont je sais qu'il me mènera ailleurs, à plus tard, à après. Aujourd'hui n'est qu'un jour, et demain en sera un autre.
Tu peux le faire.
Mon confort, mon honneur, ma pudeur, mon intégrité même sont secondaires : seule compte la mission qu'on m'a confiée, et je la mènerai. Quitte à y laisser ma vie.
Après tout, mes parents sont bien morts pour cet idéal de justice, et bien d'autres avec eux. Alors pourquoi pas moi ?
Quand le cliquetis du loquet se fait entendre, pourtant, toutes mes résolutions sont comme soufflées par une bourrasque soudaine, et je me retrouve à fermer les yeux, tendue comme un arc.
Mais un arc sans flèche.
Inoffensif et vulnérable. Vain.
Je déglutis difficilement, inspire à fond, et je me force à affronter mes violeurs.
Berce me sourit, flanquée de deux hommes masqués et demi-nus, impassibles et au garde-à-vous, le sexe pendant.
Je la fixe sans ciller, tâchant de m'accrocher à tout ce que je renferme de colère et de détermination, de dégoût de Lokar et de désir de revanche. Pour tenir. Pour ne pas m'effondrer.
Et je résiste. Pour le moment.
— Lève-toi.
L'ordre claque dans le silence de la pièce, et je ne peux m'empêcher de tressaillir avant d'obéir, en posture d'humilité. Nul besoin de contrarier davantage que nécessaire cette brute perverse. La séance sera déjà bien assez pénible.
— Regarde-moi.
Je me prête à son petit jeu de pouvoir. L'important est ailleurs. Ces moments ne comptent pas.
Elle me détaille, l'air vague. C'est vraiment une femme étrange. Certainement folle. A la revoir hier soir à me guetter dans le noir, hystérique et trouble, je n'en doute plus, en réalité.
Soudain, une lueur s'allume dans ses pupilles, et son visage se ranime, ses yeux parcourant mon corps avec cette gourmandise abjecte qu'elle semblait déjà éprouver lors de mon arrivée à Altis. Un frisson me remonte le long de la colonne vertébrale, mais je me contracte pour le réprimer.
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La Montagne Décapitée
FantasyUn honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être Appelée ? D'être offerte en cadeau à un grand de l'Empire ? Arrachée à mes amies, à ma maison, à ma famille, à ma précieuse bibliothèque pou...