Chapitre 53 - Un pas en avant

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C'est lent.

Bien trop lent.

Beaucoup trop lent.

Le Général Marsius contemple avec agacement la ligne de front.

Enfin, de front, c'est vite dit.

Quelques centaines de soldats surentraînés suant sur des haches pour raser une forêt, ce n'est pas tout à fait l'idée qu'il se fait de la gloire et d'un front honnête. Ça manque d'ennemis, de prouesses, de noblesse.

Et de rythme, surtout.

Pour accélérer les choses, il a demandé une rotation rapide chaque heure, de sorte que les cognées restent vives, mais ces garçons sont malheureusement plus efficaces contre des paysans révoltés que contre des troncs millénaires. Le reste de l'armée ne chôme pas, mais, le réduire au génie militaire pour organiser le convoyage des fûts et le camp, c'est un tel gâchis de leur précieux temps et de leur énergie ! Il a hâte d'en découdre avec les Écardes. Là, il inscrira son nom au firmament ! Là, il gagnera sa couronne ! Là les attendent de véritables batailles faites pour la bravoure et la gloire !

Le sang : rien de tel pour grandir un homme.

Pourtant, le plan initial est le bon : surprendre Boutih le Lumineux et ses troupes en débarquant en force par la Sang-de-Fer. Un raz-de-marée vert et noir de soldats et de zardes. Les injustices du passé seront réparées en un rien de temps, l'Empire unifié, un grand peuple marchant de nouveau d'un même pas vers un âge d'or inégalé et inégalable.

Marsius réalise qu'il sourit, déjà rassasié d'un sang pas encore versé.

Il faut d'abord bâtir cette flotte.

Et donc raser cette forêt.

Et chaque jour perdu à ce chantier nécessaire mais laborieux est un risque supplémentaire de voir éventé l'effet de surprise sur lequel repose essentiellement leur stratégie. Alors il ne faut pas mollir.

Déjà, les premiers troncs les plus modestes ont été débités en rondins afin d'établir un chemin de halage de l'orée de la forêt jusqu'à la rivière distante de quelques kilomètres. Le tracé n'est pas achevé, mais chaque arbre qui y est tracté désormais vient ajouter une portion nouvelle.

Oui, ça avance, et bien, même.

Lorsque l'infrastructure de base sera établie, il doublera le nombre de bûcherons. Peut-être même qu'il les triplera. Tant que la rotation peut être assurée, ils avanceront à travers cette stupide forêt.

Soudain, son sourire se fige. Des cris ? Il lui semble bien en discerner... Les Sylfaëns seraient-ils encore en vie, finalement ? Ses éclaireurs lui ont pourtant rapporté qu'il n'y en avait pas trace.

Cherchant l'origine des hurlements, il voit soudain surgir de la végétation ses soldats en pleine débandade devant un ennemi... qui ne les poursuit pas !

Furieux, Marsius descend de son poste d'observation, un piédestal de bois en haut d'un escalier bâti pour lui, et il avance résolument vers ces fuyards, indigné.

— Où crois-tu aller comme ça, foutrebleu ? hurle-t-il en saisissant le premier déserteur à la gorge, sous son heaume de métal noir.

— La mort invisible, Général ! La mort invisible !

L'homme se débat, visiblement en proie à la panique. Marsius lui arrache son casque et le gifle de son autre main. Le gantelet lui arrache la peau de la joue, faisant ruisseler son sang mais cesser de rouler son regard fou.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant