Chapitre 54 - Epicentre

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Pissenlit se retrouve plié en deux par une crampe violente et douloureuse qui lui déchire le ventre ; il vomit entre ses pieds.

Les souillures disparaissent dans l'entrelacs d'or en fusion, mais pas sur ses bottes. Mains sur les genoux, il cherche à retrouver son souffle, la vue encombrée de mouches noires bourdonnant à ses oreilles. Sous ses pieds, le sol tangue.

Un second spasme le fait tomber à genoux, mains sur la pierre froide. Une bile brûlante vient éclabousser le sol. Il pose son front contre la roche fraîche, et il reprend peu à peu consistance tandis que l'univers se stabilise et que ses yeux recouvrent leur vision.

Autour de lui, des gémissements lui parviennent.

Dans le halo de la Veine-Mère, une centaine de vieillards se traînent par terre dans des relents pestilentiels.

Certains ne bougent plus.

Il croise le regard brouillé de larmes de Luminski. Qui lui sourit.

Un pauvre sourire déformé par la souffrance.

Un pauvre sourire sous des yeux déchirés par le dégoût et la honte.

Un pauvre sourire fier.

Ils ont réussi.

Ils ont réussi, mais leur triomphe leur laisse au cœur un goût de monstruosité.

Eux, gardiens de la vie et de l'Empire, ils ont tué plusieurs centaines des leurs. Ils ont éprouvé dans leur âme l'agonie de ces jeunes hommes broyés par la pierre du précipice où ils ont chuté ou par le feu qui les a consumés. Ils ont enduré en eux la peur qu'ils ont suscitée chez ces enfants dont ils avaient la responsabilité.

Ils ont tué leurs enfants.

Il faut rentrer à Altis.

L'idée s'impose au gaïak avec l'évidence puissante qui naît de la prescience d'une catastrophe annoncée.

Il s'appuie sur ses mains et se relève.

— Il faut rentrer à Altis.

Sa voix est méconnaissable. Un filet presque tari qui peine à se frayer un passage dans sa gorge obstruée par le chagrin et la colère.

— Il faut rentrer à Altis ! parvient-il à lancer plus fortement, et quelques têtes chenues acquiescent mollement tandis que d'autres vieillards à quatre pattes grognent.

Impossible de savoir s'il s'agit d'un assentiment.

Les rares gaïaks à ne pas porter le cheveu blanc semblent se remettre plus rapidement de leur traumatisme et de la dépense d'énergie formidable qu'ils ont collectivement dû faire, et ils se redressent à leur tour pesamment.

Pissenlit vacille un instant, puis il retourne vers Nordansk d'un pas mal assuré mais le regard déterminé, s'appuyant de la main aux parois pour s'équilibrer.

Rentrer à Altis.


***


Comme si la nuit était soudain devenue vivante, grouillante, menaçante, elle semble recouvrir la terre et manger l'espace.

Elle avance vers la Montagne Décapitée.

Dipe observe la progression ennemie avec gravité.

Ils sont aussi prêts que possible.

Les quelques dizaines de camarades demeurés à la capitale ont œuvré d'arrache-pied pour rendre la citadelle imprenable.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant