Chapitre 51 - Les liens du sang

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J'ignore ce qui m'a pris.

Encerclée, loin de tout, face à des monstres beaucoup trop forts pour moi, secondée par un ami dont j'ai déjà trop risqué la vie, conduite dans ce piège par un prakshak sarcastique qui s'est joué de moi, je n'ai plus rien à perdre.

D'ailleurs, une part de moi veut en finir.

Il est temps que cette mascarade ridicule arrive à son terme et qu'on ferme la couverture de mon livre.

Ma vie n'aura été qu'une longue série de pages vaines à la graphie ampoulée mais au récit creux.

Un gâchis.

Tandis que mes jambes désespérées et rageuses avalent les mètres, que ma cible ne cesse de grandir à mon approche, que je laisse parler ma fureur sans issue, je repense à tous ceux que je vais décevoir.

Pissenlit, qui me manque plus que jamais.

Mamina, qui en sera effondrée.

Oncle Dipe, qui ne s'en relèvera pas.

Mais que puis-je y faire, à présent ? Quelle alternative peut bien s'offrir à moi ?

En pleine guerre menée par des soldats aguerris, je sais à peine manier une dague et peux tous juste soulever une épée. Face à ces montagnes de muscle, je suis un gabarit dont la faiblesse a cru un temps s'émanciper du réel grâce à la clandestinité ou à la comparaison avec Dava, tellement plus fragile en apparence.

Non. J'étais faite pour vivre au milieu des livres, pas pour mourir le fer à la main.

Oncle Dipe avait veillé à me fournir les meilleurs ouvrages, la culture la plus large et la plus pointue. Mon domaine à moi, mon champ de bataille, mon terrain de jeu, c'étaient les connaissances, pas le combat au corps à corps contre des ennemis qui me terrasseront nécessairement.

Des géants !

La fin de mon existence aura décidément été déconcertante et exaltante. Devenir amie avec un Sans-Tête, chevaucher un prakshak et mourir hors du Cercle de Fer sous les coups de massue d'un géant !

Alors que je m'essouffle déjà tout en étant encore hors de portée de l'ennemi contre lequel j'ai décidé de mourir bravement mais stupidement, une impression parasite me parcourt soudain.

Un géant.

Les Sans-Têtes.

Les Güllvergoths.

Je tombe à genoux brusquement.

Oui ! La solution, l'espoir, la victoire sont là !

Je ferme les yeux tandis que le géant continue de marcher sur moi.


***


Dès que la jeune femme s'est élancée, le Güllvergoth lui a emboîté le pas, perdant rapidement du terrain.

Son petit coutelas à la main, il ne se fait évidemment pas d'illusion, mais que peut-il faire d'autre ? Après tout, aucune fuite n'est possible, et il ne peut laisser Mademoiselle Olympe mourir seule.

Alors il jette ses dernières forces dans cette course folle, tricotant de ses jambes courtaudes avec frénésie, mêlant son cri dérisoire à celui tout aussi désespéré de son amie.

Quand Olympe s'écroule à genoux, il chasse son inquiétude. Une flèche ? Un sort ? Peu importe. Il ne peut rien pour elle, et il préfère y voir l'occasion de jouer son rôle de protecteur une dernière fois. Il dépasse donc la jeune femme et se positionne entre elle et les premiers géants, lame brandie.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant