Chapitre 34 - A découvert

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Un silence brutal s'abat sur la salle, et Diane baisse immédiatement sa garde en fixant un point derrière moi, au point que, surprise, je manque l'embrocher avec mon épée d'entraînement. Essoufflée, je laisse reposer mes bras tout en me retournant.

Tiope traverse la foule sans un mot, la tête droite, tout le corps crispé. D'un pas vif, elle monte la petite volée de marches donnant accès à l'estrade qui nous surplombe, puis elle nous fait face.

Grave.

Son regard nous balaie un à un, me donnant l'impression qu'elle cherche à graver nos traits dans sa mémoire, qu'elle nous voit pour la première fois.

Ou la dernière.

Le temps est comme suspendu, et même nos respirations et nos cœurs semblent se contracter pour laisser plus de place au discours de la Reine.

Enfin, elle hoche la tête.

— Mes sœurs, mes frères ! C'est ce soir que les Mascules changent le monde, ou bien que le monde les enterre !

La voix vibrante, l'œil farouche, Tiope est transfigurée, et la fougue de sa jeunesse vient effacer les outrages des saisons nombreuses qu'elle a endurées. Elle défouraille et brandit bien haut une épée étincelante.

Sa lame ne tremble pas.

— Pour la justice ! hurle-t-elle.

Et nous l'imitons tous en reprenant ce cri d'espoir.

— Pour la liberté ! reprend-elle plus fort encore, tandis que nous unissons nos voix à la sienne.

— Pour la dignité, conclut-elle solennellement d'une voix de basse, et le frisson qui me parcourt le dos à ce dernier vœu vient nettoyer les restes de rage qui brûlaient encore en moi.

Me laissant sous la chape glacée et noire d'une peur étouffante.

Olympe ! Rejoignez-moi !

L'ordre de Pissenlit est pressant, et l'angoisse monte d'un cran supplémentaire dans mes entrailles, me figeant.

Olympe ! Dépêchez-vous ! Nous vous attendons devant votre chambre !

Je m'excuse à l'oreille de Diane et me faufile entre nos camarades tandis que Tiope commence un discours que je voudrais pouvoir prendre le temps d'écouter, mais je continue de ressentir l'urgence de la pensée du gaïak, et je me dépêche d'entamer le sinueux itinéraire de mon retour.

Tandis que je m'éloigne, les premiers mots de la reine me terrifient un peu plus, mais ne pas avoir la fin de ses explications me rend cette terreur plus insupportable encore, car ça me laisse toute latitude pour imaginer ce que j'ignore.

Et mon esprit, armé des souvenirs tout frais de la barbarie qui a cours à Altis, ne manque pas de ressources pour imaginer le pire.

Ainsi, Marsius a ordonné à l'armée de Fer de se réunir pour marcher contre les Sylfaëns.

S'il y a un rayon que j'ai dévoré très tôt et pendant longtemps dans la bibliothèque de Verval, c'était celui des livres de contes et de mystères du monde. Et j'ai tremblé avec une fascination horrifiée devant les terribles récits des guerres sylfaëniques. Les enluminures hantaient mes cauchemars toutes les nuits entre sept et huit ans, et les combats et massacres, les charmes et les créatures redoutables prenaient vie dans l'espace imaginatif de mon esprit.

Et Lokar va les réveiller de nouveau, ces terribles guerriers des forêts magiques d'occident.

En pressant le pas, je serre les pans de mon gilet sur moi dans une vaine tentative de chasser l'impression de froid qui s'est insinuée en moi et qui ne semble pas vouloir s'en aller. Les couloirs sombres, la crainte d'y croiser un assassin ou d'être simplement surprise par des gardes ajoutent à mon angoisse, à moins que ce soit la fatigue. Mes dents serrées claquent sporadiquement tandis que je grelotte.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant