Chapitre 12 - Verval

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— Je ne comprends pas ce que vous avez avec mon nom, dis-je avec agacement, et toutes trois se regardent avec un air perplexe.

Pour qui est-ce qu'elles me prennent, à la fin, avec leurs manigances de complotistes ? Elles ne voient donc pas qu'elles se trompent, que je suis certes de Verval, mais que ça fait davantage de moi une provinciale inadaptée à la vie de cour qu'une recrue de choix pour quoi que ce soit ? Un cercle de lecture, encore, je ne dis pas, mais je n'en ai encore jamais connu où il faille s'armer de lames pour discuter de livres !

Diane se tourne à nouveau vers moi et me regarde gravement.

— Nous pensions que la fille de Romik et Julia aurait plus à cœur de poursuivre l'œuvre de ses parents. Surtout après leur sacrifice.

Confuse, je n'arrive décidément pas à voir à quoi tout ça rime, et je cherche un appui auprès de ses deux servantes. Ne se rendent-elles pas compte que leur maîtresse nage en plein délire ? Mais non, elles attendent aussi ma réponse, la pupille intense.

— Mes parents sont morts quand j'étais bébé, finis-je par rétorquer d'une voix neutre. Ils ont péri noyés dans un accident de bateau sur le cours principal du Sang de Fer. La coque à heurté une roche, et ils se sont retrouvés pris au piège de leur cabine inondée.

Je me souviens encore de ce jour où oncle Dipe m'a révélé les circonstances de leur décès. Il avait les yeux rougis et larmoyants, des sanglots dans la voix, et il m'a serrée très fort dans ses bras après s'être confié. C'est surtout son chagrin à lui que je ressens aujourd'hui, comme c'était déjà le cas lors de cet aveu. A huit ans, il a estimé que j'étais assez grande pour savoir comment avaient disparu mes parents. Je n'avais rien demandé, moi. Mamina était ma mère, et mon oncle était mon père : ça me suffisait amplement.

J'ai rangé ce récit terrible dans un coin de ma mémoire, et nous n'en avons jamais plus reparlé.

Et, ce soir, dans cette chambre sombre avec ces inconnues dont une m'a menacée d'un couteau effilé et froid contre ma gorge il y a à peine quelques minutes, ses propos me reviennent mot pour mot, dénués d'émotion et de sens. Des faits, de simples informations factuelles qu'on m'a demandées, et qui devraient à présent faire la lumière sur ce malencontreux quiproquo dans lequel je me retrouve obscurément coincée.

— Qui vous a dit ça ?

Diane a ouvert de grands yeux, et son visage exprime l'indignation autant que l'hébétude. Julia et Merle semblent aussi offusquées. Qu'ai-je encore dit pour qu'elles réagissent ainsi ? J'ai le sentiment très inconfortable d'être un personnage de pastorale violemment implanté dans une épopée, et qui ne comprend pas — ne peut pas comprendre — ce qu'on attend de lui.

— On vous a menti.

Diane pose sa main sur les miennes, crispées contre mes genoux, mais je me libère et me relève.

— J'ai accepté de vous rencontrer car je pensais que vous pourriez m'informer de ce qui se passe à Altis, dis-je dans un grondement. J'ai cru que vous m'aideriez à y voir plus clair. Je ne suis pas venue pour me faire menacer et insulter par des forcenées !

Je fais volte-face et me dirige d'un pas déterminé vers la sortie. J'enrage d'avoir pris des risques en contrevenant dès le premier soir aux règles très strictes de Berce, et tout ça pour rien. Que ces petites complotistes de bas étage poursuivent leur vil commerce de rumeurs futiles et calomnieuses ! Moi, je retourne auprès des miennes.

Demain est un autre jour, et sûrement que mon oncle trouvera un moyen de communiquer avec nous. Je suis lasse et n'aspire plus qu'à oublier cette soirée bizarre et ces discussions sans queue ni tête.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant