Chapitre 43 - Sur le fil

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— Oncle Dipe ! Comment tu te sens ?

Le teint grisâtre et l'air plus vieux que jamais, le blessé se force visiblement à me sourire, et ça fait mal. Une crispation du cœur, comme un deuil par anticipation...

— Comme un pissenlit foulé par un troupeau de lourdin, mais notre ami ici présent prétend que la mort ne veut pas de moi aujourd'hui !

Son geste désinvolte esquissé vers le gaïak s'est achevé dans une grimace, le bras retombant lourdement sur la paillasse. Je lui prends la main, les larmes aux yeux, mais je détourne le regard de sa figure épuisée dont les os me semblent si saillants que j'ai l'impression de faire face à un squelette.

La couverture qui le tient au chaud laisse deviner l'énormité de sa blessure : une seule jambe forme encore un renflement sous le tissu — il ne marchera plus.

Il est tout ce qui reste de ma famille, et il ne marchera plus.

— Pissenlit, soignez-le !

Ma voix est sourde comme un grognement de bête fauve. Je ne la reconnais pas.

— Je suis désolé, Olympe, mais je ne peux plus rien pour la jambe de votre oncle. Il survivra, mais je ne peux rien de plus.

Un brouillard rouge me submerge, et je contemple comme en spectatrice le déferlement de ma fureur : je me vois me dresser soudain et me jeter sur Pissenlit en le frappant de toutes mes forces et en hurlant des monstruosités. Acculé contre un mur, le gaïak n'a pas d'autre choix que de se défendre, et je me retrouve immobilisée dans une bulle de lumière douce, incapable de bouger.

Vaine, ma fureur retombe, laissant place à des sanglots pitoyables. J'ai honte, mais je ne peux plus m'arrêter.

— Eh bien ! Je vois que l'ambiance est électrique !

En reconnaissant la voix de Dava, je ne peux m'empêcher de me tourner vers mon ami que j'ai cru mort.

Qui aurait dû être mort.

La peau noircie de suie, le cheveu dressé sur la tête comme un brasier furieux et le poil fumant encore, il me regarde avec un grand sourire : je ne peux m'empêcher de pouffer de soulagement. Il part aussitôt d'un grand rire qui se propage comme une traînée de poudre à travers l'infirmerie de campagne établie à la hâte à côté du hall d'entrée de la citadelle.

Nous avons survécu.

La tension retombe enfin sur l'improbable : le plan a marché, et nous avons remporté la victoire !

Nous avons gagné, et mon oncle comme Dava sont saufs. Je dois en rendre grâce à la chance ou aux dieux, s'il y a la moindre probabilité qu'ils puissent exister dans un univers où des êtres aussi odieux que Lokar et ses acolytes peuvent sévir.

Mais d'autres n'ont pas été épargnés.

A présent que mon émotion s'apaise, je réalise que des dizaines de corps gisent autour de nous, recouverts de couvertures. Une poignée d'entre eux gémissent encore.

Les zardes ont fait de terribles dégâts.

— Ma chérie !

La voix familière me cueille en plein cœur, et je fais volte-face pour me jeter dans les bras de Mamina.

— Allons, mon enfant, c'est fini, dit-elle doucement en me serrant contre elle. Mais vous vous êtes mise dans un bel état !

Elle m'écarte d'elle pour me jauger de la tête aux pieds en secouant doucement la tête d'un air faussement désapprobateur, mais elle se fige en voyant mon oncle alité et si mal en point. Elle me lâche immédiatement et se jette auprès de lui.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant