Chapitre 7 - Les chambres vides

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Lorsque nous remettons les pieds dans la Salle aux cent portes, un brouhaha sourd me cueille. Il y a comme une vibration dans l'air, une sorte de brouillard d'impatience.

C'est le grand soir.

Oncle Dipe craignait que nous n'arrivions en retard après toutes nos hésitations. À commencer par les miennes, d'abord, puisque je ne voulais pas quitter mon sud natal pour cette cour lointaine et abstraite qui ne semblait faite que pour des gens superficiels — que de disputes nous avons eues à cet égard, Cass et moi ! Circe était plutôt de l'avis de mon amie, mais elle jouait les conciliatrices, et c'est grâce à elle que j'ai su retenir ma langue pour ne pas détruire notre amitié par un propos blessant. Et, au final, heureusement qu'elle était là pour m'inciter à la retenue, parce que je crois qu'Altis va finalement me plaire !

L'autre raison qui a retardé notre départ, c'était le dilemme de mon oncle.

Une Appelée peut emmener avec elle une suite pour l'accompagner dans sa vie à la cour et dans sa nouvelle résidence d'épouse, mais il s'agit d'une longue absence, voire d'un voyage sans retour.

Et Oncle Dipe ne voulait pas plus me laisser partir seule qu'abandonner le domaine familial, seul héritage de mes parents. Mais les compensations de l'Empire sont généreuses, et il était bien vieux pour rester tout seul.

Et puis Mamina m'accompagnait, de toute façon, ce qui lui faisait une autre bonne raison de se joindre à nous, s'il en fallait. Quant à savoir qui d'elle, de moi ou de la promesse de l'Empereur a été l'élément déclencheur, peu m'importe : il me suffit de savoir qu'il est là, quelque part, pas très loin, et qu'il sera à mes côtés.

Et j'ai hâte de le retrouver !

Je me redresse et pénètre dans le grand salon bondé de filles et de femmes de tous âges. Assises sur les longs canapés douillets, elles sont des dizaines, peut-être même des centaines.

Berce a parlé de cinquante suites. Si chacune des Appelées est venue avec trois personnes comme moi, nous sommes peut-être deux cents !

Je parcours la foule des yeux, tâchant de graver dans ma mémoire le visage de toutes mes nouvelles sœurs. Il y a une multitude de physionomies, de couleurs de peaux, de tenues bariolées plus ou moins découvertes, mais elles ont toutes pour point commun d'être ici, comme moi. Apprêtées pour la Cérémonie de Présentation.

J'ai hâte, maintenant.

Une tension électrise l'espace, et chacune des Appelées pépie dans son coin avec sa suite.

— Allons nous asseoir, Olympe. Je pense que nous attendons une visite, et sans doute des explications sur le déroulement de la soirée.

Mamina a raison. Je repère un coin de sofa garni de coussins moelleux et colorés dans lesquels je me jette. Dans ma tête, je suis déjà en train de lister ce que je vais écrire aux filles, et la liste promet de se rallonger encore, ce soir !

— Comme vous êtes toutes belles, ici ! s'exclame Meth, qui ouvre de grands yeux sur toutes ces jeunes femmes honorées par l'Empire.

Et je songe en mon for intérieur que oui, elles sont belles, en effet. Ce constat provoque en moi une sensation dérangeante... un sentiment d'imposture, de prétention, comme si je me regardais d'en bas sur un piédestal d'où je toiserais méprisamment le reste de mes semblables. Pourtant, on m'a bien Appelée, moi aussi.

— Mais c'est vous la plus jolie, renchérit Gone, les yeux brillants.

Je souris, gênée, et je détourne le regard.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant