Malaise.
L'impression que tous les regards rampent sur moi comme des mains, moites, chaudes, sales.
Pour ne pas provoquer la colère de Berce, mais aussi pour préserver les restes dérisoires de ma dignité, je lutte pour ne pas me couvrir. On ne me le pardonnerait pas. Ce serait un signe de faiblesse.
Ce n'est pas à moi de me cacher.
Ce sont leurs désirs et leur violence qui sont malsains et honteux. Mon corps n'a rien à dissimuler. C'est un corps d'être vivant tel que la nature l'a fait : sans monstruosité, sans rien de malhonnête.
L'insanité est dans leurs yeux, et le vice dans leurs cœurs.
Alors je marche en essayant d'oublier le reste. Ce qui m'entoure comme ce qui m'attend.
Je pense à mes parents, à Gone, à Phigène et à ses suivantes, à Dava. Je pense à toutes ces Appelées déjà jetées en pâture à ces mâles brutaux et arrogants. Je pense à la mort mascule qui s'abattra bientôt sur cette engeance dégénérée et meurtrière.
La vengeance me tient droite, la haine me relève le menton, et ma colère brûle en moi au point que j'ai la sensation de son feu couvant dans mes yeux. Je ne suis pas loin de croire que je peux enflammer Lokar d'un seul battement de cil. L'image de cette enflure hurlant de souffrance et courant au hasard en une caricature de torche vivante me tire un sourire.
Si seulement.
Bientôt.
A mes côtés, Berce marche en silence, mais le frottement de sa robe ne couvre pas le halètement de sa respiration qui peine.
J'accélère.
C'est mesquin, mais il n'y a pas de petite revanche contre les tyrans et les monstres.
Derrière moi, je l'entends s'essouffler davantage. Elle ne me dira pas de ralentir : nous répondons à une convocation de l'Empereur, et cela s'apparenterait à une incitation à la désobéissance ; or, il n'y a qu'un pas entre la suspicion et la trahison, et moins d'un pas entre la trahison et l'exécution. Par ailleurs, elle ne s'abaissera pas à avouer son infériorité physique.
Je souris à nouveau.
Dans un coin de ma tête, un grondement monte en sourdine : c'est l'angoisse de ma prochaine rencontre avec Lokar. Je sais à quoi m'attendre, cette fois, et ma tenue ne laissera planer aucun doute quant à ma fonction ce soir dans ses appartements. Je me console en pensant qu'il ne me partagera pas, mais je sais que je fanfaronne. Ce soir, Pissenlit ne m'aidera pas. Je ne l'ai plus senti à mon écoute depuis des heures, et, si je ne l'avais pas croisé tout à l'heure, je le croirais disparu.
Ou pire.
Je dois tenir.
Quoi qu'il soit en train de se produire, je dois gagner du temps : je sens que les choses se précipitent. L'armée qui se met en marche, les Mascules en pleine effervescence : c'est pour très bientôt.
Peut-être ce soir.
Je dois me préparer doublement, mais je dois surtout me méfier de la tentation : il me faut éviter de succomber à la faiblesse de croire que j'échapperai aux assauts de l'empereur. Ce soir, selon toute vraisemblance, et peu importe ce qui se passera dans Altis, je suis seule.
Je le sais. J'en ai l'intime conviction.
Fébrilement, je cherche le manche discret de mon poignard pour canaliser mon courage.
Horreur !
Ma lame n'est plus là !
J'ai dû l'oublier dans ma chambre...
![](https://img.wattpad.com/cover/198324753-288-k686334.jpg)
VOUS LISEZ
La Montagne Décapitée
FantasyUn honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être Appelée ? D'être offerte en cadeau à un grand de l'Empire ? Arrachée à mes amies, à ma maison, à ma famille, à ma précieuse bibliothèque pou...