Chapitre 29 - Un éclair dans la nuit

63 6 59
                                    


Abi.

Abi est en train de pleurer.

Je l'entends qui crie, qui m'appelle, qui hurle...

Mais je ne peux y aller.

Pas encore.

Je dois finir mon travail, ou bien le fouet tombera.

Sur moi, sur Abi, sur Eni.

Mais comment l'ignorer ?

Je suis quelque part dans le palais, mais je ne parviens pas à m'orienter. Je dois rester là, et tendre ce plateau qui ne désemplit pas à des mains toujours plus nombreuses, écrasé par des murailles de corps gigantesques dont je ne parviens pas à distinguer les têtes.

Ils ne l'entendent donc pas ?

Ses gémissements deviennent stridents, et je n'y tiens plus. Baissant la tête, je tente de me frayer un passage entre les Coupeurs-de-Têtes, mais c'est peine perdue : leurs jambes sont comme des troncs, et leurs corps sont si serrés que je pourrais tout autant essayer de traverser un mur.

— Abi !

Je me mets à pleurer à mon tour, de rage, de peur, d'impuissance, et je tourne sur moi-même en quête d'une brèche.

— ENI !

J'ignore où est ma femme, ni pourquoi elle n'est pas aux côtés de la petite.

Soudain, la voix d'Abi s'étrangle, et je perds pied : je me rue sur les pantalons, je frappe, je griffe, je mords, mais je m'étouffe de plus en plus dans les corps et les tissus.

— ABI !

Je rue comme un diable pour me libérer, et ma tête heurte soudain quelque chose de dur, mais je peux enfin respirer librement. Dans la pénombre, tout en recouvrant mon souffle, je tente de me repérer.

La mémoire me revient en même temps que je reconnais le pan de mur qui me fait face : la chambre de Mademoiselle Olympe.

Je me suis endormi.

Je me relève, en colère contre moi.

Imagine si elle était rentrée et t'avait trouvé en train de ronfler ? me dis-je avec mépris en me rasseyant sur mon siège.

Ou pire... si un assassin était arrivé pendant mon sommeil...

Pris d'un doute, je me redresse et viens coller mon oreille contre la paroi.

Rien. Je ne perçois rien. Mais est-ce que j'entendrais quelqu'un qui attendrait en silence dans le noir ?

Déglutissant difficilement, je place ma main sur le manche de mon poignard caché sous ma tunique. J'assure ma prise et dégaine après avoir vérifié que personne n'arrive.

J'inspire.

Je pousse fermement mais lentement sur le battant, qui s'entrouvre sans bruit : il ne se verrouille apparemment que de l'intérieur.

Dans la chambre, je n'y vois rien — il fait bien trop noir.

A l'idée de m'immiscer dans l'intimité de Mademoiselle Olympe, je me sens mal à l'aise, mais je prends mon courage à deux mains et avance prudemment. Seule la faible lueur de la veilleuse luit à peine sur la table de chevet, mais mes yeux s'habituent peu à peu, et l'éclat ténu suffit bientôt pour que je distingue les contours des ombres des meubles.

Pas d'intrus en vue.

Entièrement tendu, à l'écoute, je reste immobile un moment, retenant mon souffle, mais je n'entends que les ronflements venus de la pièce d'à côté. Je m'aventure à regarder sous le grand lit, mais personne ne s'y terre non plus avec la mort au cœur.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant