Chapitre 26 - Les Crocs de Fer

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La plaine vallonnée alterne prairies, champs et forêts coupées. L'air frais nous électrise en glissant sur nos plumes acérées. Nous tendons le cou plus en avant, le bec pénétrant le vent avec une déconcertante facilité. Nos battements d'ailes sont réguliers, mais rares : il est si simple de se laisser porter, de tomber toujours plus vite en avant sans jamais toucher le sol ! La sensation de vitesse est tellement grisante !

Par moment, au sol, nous repérons quelque menu gibier qui se faufile entre les herbes, mais nous ne devons pas. Pas encore. D'abord, il nous faut remplir notre mission.

Les villages que nous survolons semblent si petits, vus d'ici ! Insignifiants ! Nous ne connaissons pas leurs noms : les nids des hommes se ressemblent tous, et il n'y a rien pour nous dans leurs galeries à ciel ouvert toujours enfumées et encombrées de cris.

Enfin, au loin, une forêt épaisse, sombre, dense. Derrière elle, veillant sur elle comme un berger gigantesque ramassé sur l'horizon, la chaîne des Crocs de Fer.

Sylfaënis !

La forêt des Sylfaëns...

Nous survolons désormais les arbres mystérieux de la forêt interdite, mais nous n'y descendons pas, non. Il n'y a rien de bon pour nous non plus dans la toile impénétrable des branches. Non. Sans faiblir, nous poursuivons vers les montagnes.

Nous y sommes bientôt.

Déjà se détachent de la masse des pics de pierre accidentés et des ravines obscures et profondes. Et l'aire que nous cherchons.

Juste devant La grotte.

Nous sommes arrivés à destination.

Le sol vient se lover délicatement entre nos serres, et, ailes repliées, nous nous dressons face à la cavité.

Qui va là ? tonne une voix rauque et sifflante dans notre tête.

C'est Graine de Vent, Majestueux Or des Cieux, lui répondons-nous en pensée. Nous venons vous demander audience.

Qu'est-ce qui vous fait croire que je veux vous écouter ?

L'Heure du Grand Réveil a sonné, Majestueux Or des Cieux. Nous avons pensé que vous deviez en être informé.

Deux foyers ardents s'allument simultanément dans la gueule de nuit qui nous fait face, et un long museau se dessine sous eux tandis qu'une tête gigantesque émerge de la montagne. Le prakshak doré se redresse de toute sa hauteur, nous dominant de si haut que c'est comme une montagne qui a poussé en quelques instants. Déployant ses ailes démesurées dans le soleil qui vient le faire scintiller, il baisse la tête vers nous et nous sonde de son regard de feu où tournoie en continu un vortex de lave incandescente.

Nous ne bougeons pas. Tout mouvement pourrait être interprété comme une offense ou une marque de lâcheté. Nous restons droit, nos yeux accrochés aux siens malgré le vertige douloureux qui s'empare de nous. Et le temps s'étire.

Qui ? demande-t-il simplement d'une voix menaçante.

Le Printemps qui était prédit.

Notre réponse lui fait fermer les yeux et redresser sa large gueule vers le ciel. Son poitrail se gonfle et enfle, tandis que nous nous raidissons à ses pieds. Dans notre champ de vision, ses deux pattes hautes comme des nids d'humains s'enfoncent dans la pierre qui s'effrite, les sept griffes de chacune d'entre elles plantées profondément dans le roc comme si c'était de la chair tendre de petit lourdin à peine sorti de sa mère.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant