Chapitre 25 - De profundis

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Réprimant un haut-le-cœur, je tente d'avaler le sang discrètement en évitant de m'étouffer ou de vomir. La vue brouillée par mes larmes de douleur, je cille pour recouvrer une meilleure vision des choses.

En entrant dans l'infirmerie tenue par Pissenlit, le Garde Noir m'a jetée sans ménagement sur les dalles de l'entrée, et j'ai dû me mordre la langue en contenant mon cri de souffrance et de surprise. Je ne dois pas attirer son attention. Sinon, il me ramènera à Berce.

Et je ne peux pas.

Enfin, je distingue ce qui se passe.

Le Garde Noir est accroupi à l'autre bout de la pièce, à moitié caché par la couchette au-dessus de laquelle le mage m'a fait léviter. Je ne parviens pas à comprendre ce qu'il y a, mais ça doit être important, vu la manière dont il s'est débarrassé de moi sans ménagement.

Lentement et sans bruit, je m'accroche aux interstices entre les pierres pour me tirer contre le sol et améliorer la visibilité de la scène.

Aux pieds du garde, un tas de tissu.

Avec des bottes.

Pissenlit !

Je reconnais soudain la robe du mage, et je dois fournir un effort surhumain pour conserver mon sang-froid. Je ne suis pas médecin, de toute manière. Si un assassin de Lokar l'a exécuté, ou même s'il l'a laissé pour mort, je serai impuissante, d'autant plus avec un soldat de cette carrure ayant ordre de me ramener auprès de la Maîtresse des Bourgeons.

Les yeux à nouveau embués, je prends donc mon mal en patience en suppliant les divinités en lesquelles je n'ai jamais cru d'épargner la vie du mage.

Gaïak.

Je crois presque l'entendre en moi me corriger, et les larmes coulent le long de mes joues.

Allons, Olympe ! Vous pleurez ma mort ?

Je me redresse, le cœur battant.

Recouchez-vous ! Je m'occupe de tout !

— Merci, mon brave, grogne Pissenlit, et je souris malgré moi en entendant sa voix.

Il se redresse, aidé du garde qui le soutient pour qu'il puisse se mettre debout. Je le vois se frotter le crâne.

— Qu'est-ce qui s'est passé, Maître Gaïak ?

A mon grand étonnement, la voix du soldat est celle d'un adolescent qui n'a pas fini de muer.

— Un charme qui a mal tourné, jeune homme, rien de grave, le rassure-t-il en lui tapotant l'épaule. Que puis-je pour vous ?

Il se tend au garde-à-vous et répond en me montrant du menton.

— Cette Appelée a perdu connaissance, et la Maîtresse des Bourgeons demande que vous la ranimiez pour qu'elle puisse reprendre son apprentissage au plus tôt.

Le mage hoche gravement la tête et s'avance vers moi.

Gaïak, me sermonne-t-il dans mon esprit en s'agenouillant près de moi.

Je ne bouge pas.

Je sens ses mains parcourir mon corps sans me toucher, et je me concentre pour rester immobile.

— Je vais m'occuper d'elle, mais je crains qu'il ne lui faille plusieurs heures de repos. Je vous ferai prévenir dès qu'elle sera en état de poursuivre son enseignement.

— Je vais rester.

Je réprime une crispation. Il faut qu'il parte ! Je ne peux quand même pas simuler l'inconscience jusqu'à la fin de mes jours !

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant