Chapitre 42 - Chanson verte et nuit d'encre

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Planté dans la terre moelleuse des berges de Rivilse, il écoute ses histoires mélodieuses des contrées qu'elle a traversées. Gazouillante d'éclats miroitants et ricochant dans les galets, Rivilse lui narre son infinité de rencontres, la mélancolie de ses sources glacées, la richesses des terres qu'elle abreuve au long de son cours, la saveur des roches et des terres qu'elle a goûtées, les mœurs et aventures de toutes les créatures qui viennent boire à son âme...

Il ne s'en lasse jamais.

Lui qui n'a jamais quitté Sylfaënise, il accueille en lui la voix mélodieuse de Rivilse comme un cadeau. Un présent perpétuel.

Chaque jour que le ciel nimbe de sa lumière dorée, il est là pour partager ses contes. Chaque nuit aussi, quand l'obscurité vient lui remplir les yeux pour mieux ouvrir ses oreilles aux chants de la Lune.

Planté dans le sol vivant, il écoute sans jamais se lasser le murmure des êtres innombrables qui le parcourt. Il vibre sur la toile de la vie, jouissant de tous les nœuds lumineux qui étendent son être presque jusqu'à l'infini.

Un tremblement.

Infime. Presque imperceptible.

Mais déjà la rumeur vient parcourir les fils ténus qui relient les vivants.

Il la sent.

Ouvrant ses yeux verts sur le monde lumineux qui l'entoure pour voir d'où vient le danger, il perd le contact avec celui-ci. Il ferme donc ses paupières pour mieux le percevoir.

Tendant un bras vers le tronc solide d'un glyphise millénaire, il enlace de ses rameaux son écorce ridée de sagesse pour amplifier ses sens de ceux du Vénérable.

Soudain, il les reconnaît.

Des Éclairs-verts du Désert-Mort. Sûrement des milliers. Sûrement chevauchés par ces Chenilles-de-fer qui se rêvent papillons mais se détournent du soleil pour ramper dans la poussière. Ces Chenilles-de-fer qui rongent tout sur leur passage.

Ces parasites qu'ils ont combattus il y a longtemps, leur laissant la jouissance du Désert-Mort et de ses oasis pour mieux protéger le cœur vert du monde où bat l'origine de la vie.

Et voilà la marée de fer qui vient vers eux désormais.

Syldise rouvre les yeux et se met à courir.

Ses longues foulées souples ne parcourent pas l'espace : la terre vient au contact de ses pas pour l'accompagner, portant sa course au-devant des siens.

La chanson verte bruisse au-dessus de sa tête, plus rapide que ses jambes, précédant son arrivée.

Lorsqu'il parvient à la Grande Clairière, le Conseil est déjà réuni. En une ronde parfaite, se tenant la main, tous les Anciens sont plantés dans la terre, plongeant leurs sens loin sur la toile de la vie.

Nul besoin de parler.

Lui aussi, lorsqu'il sera plus vieux, pourra porter son être bien au-delà des propres limites de son écorce, mais il doit encore étendre ses racines de nombreux siècles encore.

Lorsque son peuple s'est battu contre l'envahisseur venu du Sud, Syldise était encore enfant, mais il se souvient comme d'un déchirement de cette vision du feu et du fer ravageant tout sur son passage.

Tant de Vénérables ont péri lors de cette rencontre.

Les Sylfaëns n'ont pas voulu comprendre, au début.

Ils avaient voulu accueillir ces étrangers qui paraissaient si misérables, mais leurs émissaires n'étaient pas revenus, tués à vue par leurs dards de bois et de métal. Puis les Vénérables étaient tombés sous les coups de hache, les uns après les autres, et il avait fallu rassembler le Peuple Vert pour organiser une résistance autour du cœur de la vie.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant