Chapitre 48 - Principe viril

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Comme au temps de son enfance insouciante, Diane entre en coup de vent dans les écuries, saute à bas de sa monture sans même marquer un temps d'arrêt, et Petrick, le jeune palefrenier, se retrouve en moins de temps qu'il faut pour reprendre son souffle à encaisser le salut de l'Appelée, ses rênes, son sourire et ses remerciements, vacillant encore sous le choc tandis que le dos de sa maîtresse disparaît déjà par les portes grandes ouvertes.

Elle ne perd pas davantage de temps en détours et politesses, saluant d'un sourire ou d'un geste de la main celles et ceux qui la reconnaissent et s'étonnent de son retour. En messagère zélée qui connaît la maison, elle file droit vers la salle d'audience où elle sait pouvoir trouver son père au crépuscule. Il aime y rendre la justice avant le dîner, où il convie généralement les meilleures rencontres de la journée afin de discuter commerce ou politique.

Diane aurait aimé prendre le temps de se rafraîchir, de se rendre plus présentable, de parler à sa mère, de discuter un peu des derniers événements avec quelqu'un dont elle se sente aimée et proche, mais l'urgence aboie sur ses talons, prête à lui déchiqueter les mollets, et c'est son père qui décide de tout ici, alors à quoi bon temporiser ? C'est pour l'instant son seul plan. S'adresser à l'homme d'Etat, pas au père.

Elle doit parler immédiatement au Seigneur Erdan VI de Roc-sur-Plaine.

Elle sourit toujours de cette manie que son père a d'imposer son titre et son pedigree. Tellement sérieux et prétentieux.

Elle qui a grandi sur ses genoux, elle n'a jamais vraiment pu prendre ce protocole au sérieux, mais les colères de son père ont fini par la convaincre de jouer le jeu. Surtout, sa mère avait réussi à lui faire comprendre que la position de son père implique une image de pouvoir et de sérieux à laquelle ce type d'attentions pompeuses contribue, et qu'elles se devaient de le soutenir par ces marques de respect.

Aussi, lorsque Diane entre dans la salle d'audience au pas de charge, interrompant l'exposé d'un plaignant, elle prend soin de faire une révérence à son père.

— Seigneur Erdan de Roc-sur-Plaine, j'ai une nouvelle de la plus haute importance à discuter avec vous immédiatement ! jette-t-elle sans souffler, à peine redressée, regardant son père dans les yeux avec impatience.

Il ne réagit pas. Pas sur le coup. Mais sa mâchoire se crispe.

— Je suis en audience. Je te recevrai plus tard, ma fille.

Sa voix est tombée comme un couperet sur l'élan de Diane.

— Mais c'est très urgent, père ! s'écrie-t elle en réaction. Vous devez m'écouter ! En privé ! précise-t-elle en jetant un œil à l'assemblée silencieuse.

Il y a dans la grande salle d'audience une centaine de personnes. Des plaignants de toute extraction, en file, attendant leur tour derrière le gros paysan gêné que Diane vient d'interrompre, mais il y a aussi sur des fauteuils plusieurs dizaines de notables et d'aristocrates locaux venus se distraire autant que pousser leurs pions auprès de leur suzerain. Et qui ne perdent pas une miette de la scène. Des domestiques passent dans les rangs pour abreuver et sustenter ces spectateurs exigeants.

Diane reporte son regard sur son père.

— Il faut que vous leviez cette audience tout de suite ! insiste-t-elle. Je vous attends dans votre bureau.

Elle se force à une révérence, s'apprêtant à faire volte-face pour laisser au seigneur de Roc-sur-Plaine le temps de la rejoindre, préparant déjà mentalement son discours, quand une douleur atroce lui arrache un cri. Relevant les yeux, elle découvre le visage de son père déformé par un rictus de haine pure. Il l'a saisie d'un poing rageur par les cheveux et tire sa tête en arrière pour la forcer à le regarder.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant