Dans la salle du trône, c'est un chaos joyeux et survolté qui règne maintenant. Un brouhaha diffus de conversations euphoriques domine une foule clairsemée essentiellement composée de femmes. La bigarrure des robes est néanmoins ponctuée de stries plus sombres : des hommes, frères, pères, fiancés ou maris de sang. Le tout parcouru de petits Sans-têtes en livrée distribuant en-cas et remontants.
Les Mascules sont sorties de l'ombre et ont défait en une nuit Lokar le Magnifique et ses redoutables Gardes Noirs.
En réalité, une amante désespérée a tué son méprisable amant par surprise, tout comme une poignée de soldats arrogants s'est vue submergée par le nombre au beau milieu des heures les plus somnolentes de leur surveillance. Une victoire facile.
Trop ?
Un sentiment désagréable vient me titiller, mais je n'arrive pas à savoir s'il s'agit d'inquiétude ou de frustration. Berce m'a privée du plaisir de ma vengeance en tuant mon ennemi à ma place puis en mourant sans mon aide. Et cette résolution brutale m'a comme plongée dans un état d'hébétude, comme si j'avais observé longtemps un immense rocher tomber du ciel vers moi, puis qu'on avait étendu au-dessus de ma tête un grand voile qui le dissimulerait à ma vue : demeure seulement la peur, une tension douloureuse — la conscience de bientôt devoir finir écrasée, mais sans aucune possibilité de voir venir le danger.
Le bras d'Oncle Dipe vient m'entourer pour me presser contre lui. Au pied de l'estrade, nous attendons l'entrée de l'Impératrice Tiope Vérona. Je m'efforce de sourire au vieillard dont les yeux pétillent de satisfaction. Je ne l'ai jamais vu aussi heureux.
A croire qu'il haïssait Lokar bien plus que moi.
— Comme tu ressembles à Julia, me confie-t-il, ému, et j'embrasse sa joue piquetée d'une courte barbe poivre-et-sel. Elle peut enfin reposer en paix. Et ton père aussi, bien sûr !
Sa dernière phrase est sortie comme une exclamation gênée de sa bouche, et je ne peux m'empêcher de le sonder du regard. Ses pommettes ont rougi, et il se détourne de moi.
— Olympe ! Ma chérie !
Je pivote juste à temps pour reconnaître Mamina avant qu'elle s'abatte sur moi pour m'enlacer très fort contre elle.
— Comme je me suis inquiétée de te savoir avec l'Empereur ! gémit-elle dans mon oreille avant de m'écarter en me tenant fermement entre ses mains pour m'examiner des pieds à la tête. Au moment où la nouvelle d'un attentat contre Lokar est arrivée au Gynécée, je t'ai crue morte ! Je te voyais déjà baignant dans ton sang... ou pire !
Elle me serre à nouveau contre elle, et je sens son cœur battre la chamade contre ma joue.
— Mélinella, vous allez bien ?
La voix soucieuse de mon oncle attire l'attention de Mamina, qui lui sourit en retour... avant de le prendre lui aussi dans ses bras.
Prétextant que je vais rejoindre Diane, je m'éloigne discrètement afin de leur laisser un peu d'intimité pour leurs retrouvailles après une séparation si angoissante. J'échange quelques sourires avec des visages familiers dans la foule tandis que je pars à la recherche de mon amie. C'est étrange de penser que je ne connais ces gens que depuis quelques jours et que nous avons vécu tant de choses presque sans nous être parlé au-delà de quelques politesses alors que nos vies dépendaient les unes des autres.
C'est effrayant, même, de se dire qu'on ne connaît rien des personnes dont on a désormais le plus besoin.
Toutes les voix meurent presque simultanément tandis que les visages s'orientent vers l'estrade. Je cesse moi aussi de fendre la foule en vain pour admirer l'entrée du nouveau maître du Cercle de Fer.
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La Montagne Décapitée
FantasyUn honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être Appelée ? D'être offerte en cadeau à un grand de l'Empire ? Arrachée à mes amies, à ma maison, à ma famille, à ma précieuse bibliothèque pou...