Chapitre 32 - Creuser

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Dans les entrailles de la Montagne Décapitée, les chocs des pics sur le roc tintent et claquent le long des galeries. Mètre après mètre, les mineurs s'enfoncent un peu plus chaque heure.

Ce qui n'a semblé au départ qu'un énième forage pour une nouvelle série d'appartements ou d'entrepôts se révèle désormais d'une autre nature. Le rythme de travail est bien plus frénétique, et le nombre des ouvriers comme les éclairs sanglants des fouets bien trop nombreux.

Et, surtout, la direction est inédite.

Et invraisemblable.

Depuis près d'une nuit et un jour, ils se sont relayés pour creuser encore et encore. Ordre de l'Empereur. Droit vers les profondeurs. Toutes les heures, on relève la dizaine de mineurs au fond de leur puits qui plonge toujours plus bas dans les soubassements, et le staccato des pioches fait trembler l'air sans jamais mollir. Mais pas de repos ici-bas : ceux qui ne manient pas l'outil bâtissent l'échelle ou évacuent les gravats inlassablement.

Ils sont une quarantaine à se relayer, recevant le fouet dès que le bras faiblit, dès que l'esprit semble s'égarer. Or, la fatigue gagne peu à peu les travailleurs, et leurs geôliers ont la main leste. La lanière de cuir pleut donc dru sur les épaules courbées, sur les échines ployées. Les cris se mêlent aux chocs du métal contre la pierre, et du sang vient abreuver le sol, fixant en plaques sombres la poussière que leurs efforts soulèvent et qui les fait tousser dans cette fosse exiguë.

Déjà, c'est un petit cadavre qui s'élève au-dessus des mineurs baissés.

Une dépouille lacérée et inerte hissée par le treuil d'évacuation.

Le corps sans vie d'un Sans-Tête.

***

Des coups frappés à la porte me ramènent un peu plus près de la surface de ma conscience. C'est déjà la troisième fois.

La cinquième ?

— Mon enfant, ouvrez !

Mamina est inquiète. Mon visage décomposé quand je suis rentrée tout à l'heure doit y être pour quelque chose. Mais je n'ai rien pu dire alors, et je ne le peux davantage à présent.

— Je n'ai pas faim, je vous assure ! Allez-y sans moi !

L'idée même de manger me révulse, et la nausée n'est pas loin.

Tout mon corps est engourdi, comme mon esprit, mais le besoin de vomir, lui, ne me lâche pas. C'est ma seule sensation, et elle me remplit tout entière.

Au moins, je n'ai plus mal.

Après que Berce et ses deux bourreaux m'ont violée, bien plus humiliée et blessée que je ne l'avais craint dans mes cauchemars les plus pervers, elle m'a fait déposer dans l'antre du gaïak. Lorsque j'ai été seule avec lui, je me suis mise à pleurer, et une douce chaleur m'a envahie tandis que je perdais connaissance. A mon réveil, la souffrance avait disparu. Partout où les rougeurs annonciatrices de bleus apparaissaient, ma peau est désormais saine.

Le charme a visiblement soigné tous mes maux.

Je suis comme neuve.

Fraîche et pure comme une jeune fille.

Du moins de corps.

Car mon esprit, malgré les brumes que Pissenlit y a soufflées, est envahi d'images et de sensations abominables.

Et d'une pensée qui s'accroche à moi comme un molosse à la mâchoire de feu : s'ils me soignent si parfaitement, c'est pour pouvoir à nouveau m'infliger leurs atrocités.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant