Chapitre 37 - Douce nuit

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J'arrive bien avant le gaïak, et j'ai le temps de songer avec mélancolie au goût aigre de la revanche. Certes, Lokar est mort, et il ne nuira plus à personne, mais cela ne ramène pas plus Gone ou Dava que tous les autres innocents qui ont subi sa cruauté et sa violence.

Heureusement, Pissenlit ne tarde pas, et je me jette sur lui dès son entrée pour lui expliquer mon plan.

— Vous avez perdu la raison, chère Olympe ?

Son sourire moqueur me donne toujours envie de le tuer, mais il m'a déjà fait part la première fois des risques d'une telle entreprise, et je comprends du coup ses réticences.

— Faites-moi confiance. Je sais qu'elle ne me fera aucun mal. Je le sens.

— C'est de la folie ! s'exclame-t-il à nouveau, le visage grave en voyant que je ne change pas d'avis.

Je lui prends les mains, plante mes yeux dans les siens et articule avec conviction :

— Nous n'avons pas le choix, Pissenlit. Mais j'ai besoin de votre aide. Sans vous, il est possible en effet que je me perde. Avec vous, je suis certaine que ça peut marcher !

Il se mordille les lèvres, mais je ne lâche ni ses mains ni son regard.

— Vous devez d'abord vous reposer, cède-t-il enfin tandis que je pousse un cri de joie.

— C'est votre deuxième nuit, et elle est importante.

Sa voix désolée souffle ma gaieté comme une bougie un soir de tempête hivernale.

La résilianthrope morphique.

Je l'avais oubliée, avec tout ça. Mes petits soucis me paraissent bien dérisoires devant la catastrophe qui s'annonce...

— Est-ce vraiment nécessaire ? Nous n'avons pas trop le temps pour ça...

Il me fait taire d'un hochement de tête. Son sérieux est si intense qu'aucun mot n'est plus nécessaire. Mes mains restent accrochées aux siennes, comme ses yeux aux miens, et j'ai l'impression que je peux ressentir son émotion : un mélange de désarroi, de culpabilité et de rage. Le silence de cet instant semble devoir s'éterniser, mais il murmure néanmoins au bout de quelques secondes :

— Je ne pensais pas que les choses s'emballeraient autant. Je croyais que nous aurions plus de temps. Vous auriez dû pouvoir vivre ces sept rêves dans de meilleures conditions...

— Vous n'y êtes pour rien, Pissenlit, dis-je pour couper court à ses scrupules. Je m'occuperai de réparer mon âme plus tard, c'est tout.

Son visage se tord brusquement comme sous la douleur.

— Vous ne comprenez pas, Olympe, parce que vous ne savez pas : si ce n'est pas la résilanthrope qui perd un pétale chaque nuit en emportant votre mal-être, c'est vous qui perdrez une part de vous-même en aspirant le poison de la fleur. Vous n'avez pas le choix, et c'est ma faute.

Je lâche vivement ses mains comme si elles m'avaient brûlée et m'éloigne de lui, cherchant dans la pièce un refuge. J'accuse le coup un moment, au bord de la panique, mais il n'y a aucune échappatoire contre le passé, sinon la mort ou la vie.

Et je ne peux pas mourir.

Je reviens près du gaïak, que je retrouve effondré sur une couche, épaules et tête basses, se frottant le visage. En m'approchant de lui, je réalise qu'il pleure, et je prends une grande inspiration avant de poser une main ferme sur son bras.

— Pissenlit, vous avez voulu m'aider, et vous n'avez rien à vous reprocher. Maintenant, c'est fait, et nous n'y pouvons plus rien. Plus rien en tout cas que de faire au mieux. Nous devons prévenir les Sylfaëns, et je dois dormir avant cela ? Eh bien, au lit !

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant