La Montagne Décapitée

Chapitre 40 - Dernière gorgée

Au loin, un nuage de poussière.

On y est.

Dans la citadelle presque déserte, un silence lourd et tendu pèse sur nos épaules. Je le sens qui s'insinue dans nos cœurs et nos esprits. Une promesse de sang qui rampe à pas glacés dans nos consciences.

Ils viennent venger leur semblable, leur ancien maître, leur héros : Lokar.

Ma déception. Ma faute. Mon fils.

C'est une chose de frapper un homme dans le dos par surprise et à plusieurs dans le noir, mais nous allons aujourd'hui devoir nous battre selon les règles de la guerre.

Et d'après la colonne de fumée qui grossit, probablement à un contre deux. Peut-être bien plus. Sauf qu'un Garde Noir vaut bien trois Mascules au corps-à-corps.

Discrètement, je mène en revue nos troupes dérisoires : essentiellement des femmes. Courageuses, sans aucun doute, et pour certaines adroites et redoutables avec des armes, mais de petits gabarits faits pour frapper clandestinement, pas pour résister à la charge d'une armée. Quelques hommes ponctuent les rangs, mais jeunes ou très vieux, et pour la plupart échoués dans notre camp parce qu'ils n'appréciaient pas l'usage des armes et se sont retrouvés rejetés par leurs frères, pères ou oncles.

Nous ne sommes pas des guerriers.

Des idéalistes pleins de conviction, sans aucun doute, et avec la justice et le Bien pour nous, mais pas des soldats forgés pour le combat.

Le fer ne se soucie pas de justice.

Le sang coule aussi facilement et vainement pour le Bien que pour le Mal.

Aujourd'hui, la plupart d'entre nous allons mourir. Peut-être tous.

Le plan d'Olympe est flou et mystérieux, et il repose sur cette confiance étrange qu'elle voue aux Sans-Têtes, qui semblent lui obéir, mais c'est si désespéré d'attendre du secours d'une jeune fille et de quelques esclaves que je ne me fais pas d'illusion. Passé l'effet de surprise, c'est un déluge de métal qui va s'abattre sur Altis, suivi tout de suite après d'un déluge de sang sur ses pavés.

Le nôtre.

Au moins, Lokar sera mort.

Nous aurons fait la preuve qu'un tyran peut être tué, renversé, et son règne achevé.

Ce n'est qu'une graine de révolution que nous avons semée là, mais je suis sûr qu'elle donnera des fruits.

Un jour.

Mon grand regret sera de ne pouvoir les contempler.

***

Je croise les yeux de ma reine lorsque sa main effleure la mienne.

Un regard suffit.

Nous savons tous les deux que notre lutte s'achèvera aujourd'hui. Nous avons longtemps combattu ensemble, et je suis heureux et fier d'avoir vécu cette guerre à ses côtés et de mourir auprès d'elle.

L'ombre de Romik et Julia se sera toujours interposée entre nous, tout comme la tendre amitié que je nourris envers Mamina, qui me le rend si bien, reste entachée de cette mélancolie des amours qui meurent avant d'avoir pu éclore pleinement. Mais notre amitié est un lien puissant et indéfectible.

Je serre ses doigts en retour et hoche la tête.

— Ce fut un honneur, ma reine.

— Un honneur partagé, mon vieux renard.