Chapitre 28 - Comme la vie vous berce...

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— Il s'est déjà lassé de vous.

Le ton amer me fait sursauter. Je cherche autour de moi, mais le Grand Salon semble désert, les chandelles éteintes : l'heure du couvre-feu a sonné, et toutes les Appelées et leurs suivantes sont consignées dans leurs appartements.

— Son Altesse aime le raffinement. Il n'aura pas été dupe de votre morgue provinciale.

Enfin, je la repère : une masse imposante forme une ombre plus compacte près de l'âtre éteint, sur l'un des canapés.

Berce.

Il vaut mieux ne rien répondre.

— Bonsoir, Madame, dis-je poliment avant de m'éloigner d'un pas régulier et assuré vers ma porte.

— Je n'en ai pas fini avec toi ! cingle-t-elle à voix basse en retour. Viens ici !

Je m'arrête, tendue, m'attendant presque à l'entendre appeler un garde pour me frapper, me traîner par les cheveux... ou pire. Mais le silence s'éternise, et je parviens à inspirer de nouveau avant de me retourner lentement vers elle.

Le pas récalcitrant, j'avance comme à reculons vers celle qui semble avoir tout pouvoir sur nous dans cette prison dorée. Je ne parviens pas à voir l'expression de son visage, plongé dans l'obscurité, mais une puissante odeur d'alcool me frappe lorsque j'arrive à quelques mètres d'elle.

Je dois me méfier d'elle, ne pas la provoquer.

Aussi humble que possible, je m'immobilise à quelques pas d'elle, mains dans le dos et tête baissée, fixant le bout de mes pieds. Normalement, rien ne peut s'y lire comme une offense.

— Tu es très belle, Olympe.

Je retiens ma réaction de stupeur : si ses propos sont étonnamment flatteurs, son intonation est grave, dure, froide... et si triste ! Je n'ose pas la regarder de peur de déclencher sa colère.

— Merci, Madame, dis-je simplement, pour ne pas sembler impolie.

— Tu ne comprends vraiment rien, n'est-ce pas ?

La question est acerbe, mais désabusée.

— Je suis désolée...

Je ne vois vraiment pas quoi dire d'autre, et je sens que quelque chose m'échappe.

— Fichez le camp ! Demain sera une dure journée, et ne comptez pas vous défiler, cette fois !

La grosse femme s'est redressée plus vivement que ce à quoi j'aurais pu m'attendre, et, tremblante de rage, son visage presque collé au mien, son haleine rendue acide par l'alcool me frappant de plein fouet, elle plante ses petits yeux luisants et mauvais dans les miens ; enfin, le faible éclat des quelques torches disséminées le long des murs me permet de voir son expression. Un mélange de haine pure et de tristesse sans fond.

Elle pose pourtant délicatement sa main sur ma joue.

— Ne nourrissez aucun espoir. Ils vous prendront tout.

Je n'ose plus bouger, prise entre le marteau de son regard noir et l'enclume de sa main, mais elle se met soudain à pousser un rugissement de bête blessée, et une gifle violente vient me projeter contre un canapé.

— Disparaissez de ma vue, sale petite idiote !

Je ne demande pas mon reste, et, m'agrippant à l'accoudoir qui m'a réceptionnée, je me relève maladroitement et file sans me retourner vers mes appartements, dont je franchis la porte d'un mouvement avant de la claquer derrière moi.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant