Chapitre 21 - Par le fer et le feu

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Le pauvre bougre pleure et supplie, ses ongles griffant la pierre ensanglantée par le suintement visqueux causé par ses nombreuses blessures, mais plus aucun son intelligible ne s'échappe de sa bouche noyée de souffrance. Il rampe sur le sol, se recroqueville un instant lorsque le fouet claque, puis il reprend sa reptation pathétique vers le trône.

Dans la grande salle d'audience, les trognes luisent du plaisir cruel de celui qui jouit de la douleur d'autrui parce qu'il y échappe, lui, et qu'il sait qu'il peut être le prochain. Cette satisfaction sadique, c'est la marque de la folie des brutes désespérées.

Impassible, Tiope flanque son fils sur un tabouret quelques marches en contrebas. Elle a un rang à tenir et ne se dérobera pas.

Mais c'est dur.

Le petit Pidès ne mérite pas cette agonie barbare.

Il connaissait les risques et les avait pourtant acceptés ; il a été attrapé par des gardes noirs en possession d'un message compromettant. Et d'une arme.

Si le message ne permet pas de remonter jusqu'à eux, il suffit néanmoins à confirmer l'implication de cet enfant dans le complot mascule.

Tiope serre les dents, seul mouvement de rage et de crispation qu'elle peut s'autoriser pour contenir cette tension qui cherche à la faire exploser.

Le petit avance encore de quelques dizaines de centimètres, mais il s'affaisse définitivement dans un hoquet lorsque la lanière de cuir s'abat pour la énième fois de trop.

Un hourra envahit la salle, suivi d'une salve d'applaudissements.

Bientôt.

Bientôt, tout ça sera fini.

D'une manière ou d'une autre.

— Peuple de Fer ! tonne Lokar, lui tirant un sursaut qu'elle réprime à grand peine.

La foule se tait immédiatement.

— Ce rat est mort comme doivent mourir les rats, mais son nid est quelque part dans Altis ! Ouvrez l'œil et tendez l'oreille ! Ces lâches qui assassinent nos valeureux Feriens sont parmi nous, foulant nos pavés, humant notre air, buvant notre eau, se chauffant à notre feu ! Trouvez-les !

Après un instant de silence hésitant pendant lequel chacun se demande si l'Empereur est sérieux, tous quittent la salle sans demander leur reste.

Elle observe son fils du coin de l'œil en se demandant ce qu'elle a raté dans son éducation, mais c'est trop tard. Son regard retombe avec désemparement sur le petit cadavre à ses pieds...

Pauvre petit. Il n'avait pas douze ans.

Ses parents, morts sous les coups d'un contremaître de l'Empire un peu trop zélé, l'avaient laissé orphelin quelque trois ans plus tôt, et Tiope l'avait pris à son service. Le garçon s'était attaché à elle, et elle à lui. Elle était sa mère de remplacement, lui son fils de substitution.

Et il est mort.

— Mère, veuillez nous laisser. L'Empire a besoin que le Grand Conseil se réunisse.

Tiope acquiesce dignement, se lève et se dirige de son pas majestueux d'Impératrice vers le grand rideau qui drape richement de rouge et or le mur derrière le trône, et qui dissimule l'entrée des appartements royaux.

Mais elle se glisse derrière le lourd pan de tissu sans passer la porte.

Aucune réunion du Grand Conseil n'est prévue ; or, si son fils réunit ses fidèles, c'est forcément pour une raison importante. Et il n'y a selon elle que le complot mascule qui puisse en être la cause.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant