Entretien

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Je regarde intensément l'homme en pleine fleur de l'âge installé au bureau en bois massif devant moi. Il passe et repasse un de ses index sur son menton légèrement fendu par une fossette tout en lisant pour la dixième fois mon dossier.

Des pâtes d'oie se dessinent aux coins de ses yeux ainsi qu'une ride au milieu du front due à la concentration. Je scrute le moindre indice qui viendrait me mettre sur la piste de ses pensées mais rien. Pas de petit sourire, pas de sourcils froncés, rien. Un vrai joueur de poker.

La beauté de son bureau est désarmante. Il est aménagé avec le même goût et la même finesse que le hall. L'ambiance est moins tape à l'œil, plus conviviale mais l'élégance domine. Des tas de biblos envahissent les meubles. Des centaines de livres habillent les étagères et des photos de famille, et de voyages sont disposées par ci par là. Un nouvel Indiana Jones.

-Je vais être honnête avec vous mademoiselle Serkind, j'ai des tas d'étudiants qui ont postulés pour ce poste. Dit le quarantenaire tout en se laissant aller dans son fauteuil. Certains ont des CV bien plus impressionnants que le vôtre...

Je me prend un coup de massue sur la tête. Comment ai-je pu croire que j'avais la moindre chance ? J'ai qu'une envie, m'évaporer, pouf disparaître comme par magie...
Je le regarde inquiète. Aucun mot ne sort de ma bouche...Soudain il se lève et vient s'installer sur le bord de son bureau plus près de moi et la seule chose à laquelle je fais attention cest a ses  cheveux blonds coupés courts attirant la lumière d'une éclaircie brève, trop vite avalée par les nuages ténébreux. Je divague. Concentre toi ! Je me pince dans l'espoir de me réveiller.

-Cependant, il continue, la lettre de recommandation de Diana dresse un très bon portait de votre potentiel... Je la connais et rares sont les éléments qui arrivent à obtenir une lettre telle que celle-ci ... Que voulez vous faire plus tard Mademoiselle Serkind ?

Sa voix est roque et son ton calme. Comme si il parlait à une enfant.

- Je...Je veux faire des expéditions et de la recherche.. être archéologue...

Ma réponse est la plus banale possible. Évidemment que tu veux faire ça ! tout le monde veut faire ça !

-Je m'en doute, il rit. Mais dans quels domaines? Vous savez que mon travail porte sur les civilisations romaines n'est-ce pas ?

Il me regarde de ses yeux bleus bienveillants.

-Oui bien évidemment... je veux m'intéresser au monde romain et grecque. Je sais que mon projet paraît être branlant et brouillon mais je sais ce que je veux faire...Je veux participer activement à la découverte de nouveaux édifices, d'objets... affirmer de nouvelles théories en réfuter d'autres... voyager...je veux... je veux...

Je manque d'air. Je me suis laissée submerger par l'excitation... c'est jamais bon. Jules me le répète tout le temps. Je me tais et regarde mes mains avant de l'entendre rire.

-J'étais pareil à votre âge, je comprend. Je me doute  que vous êtes intelligente mais je recherche quelqu'un pour m'assister que ce soit dans mes cours et dans mon travail de recherche . C'est un job d'assistant que je propose. La personne choisi aura de grandes  responsabilités, je sais que les étudiants ont du travail donc je demande au moins vingt heures de travail la semaine et plus pendant les vacances... pensez vous avoir les épaules pour ?

-Oui! Ma réponse est directe voir un peu trop...

-Je vois! Pourquoi vouloir ce job ?

J'attendais cette question... je gratte mon nez et mord ma lèvre, gênée.

-Je suis là dedans depuis que je suis toute petite. Mon père a toujours été passionné par les Romains...les pharaons... les secrets qui entourent ces peuples disparus... et j'ai été contaminée... j'ai appris beaucoup de chose grâce à lui et grâce à mes cours bien sûr mais je pense que travailler auprès de quelqu'un qui consacre sa vie à ces peuples pourra m'apprendre encore bien plus... que ce soit par l'observation, la pratique, le travail... et me préparer a ma vie future...

-Que fait votre père...? Et votre mère ?Demande t'il curieux.

-Papa était agent de Police, il est à la retraite maintenant... Maman est comptable dans une boutique à Ovada.

-Ovada ?

-Mes parents ont déménagés, ils vivent en Italie, depuis cet été...

-Interessant....

Je regarde le professeur et je me rend compte que je souris comme une abrutie. Parler de ma famille me donne toujours cette béatitude... Il s'apprête à ajouter autre chose mais un bruit de bouton électrique le fait se déplacer. Il décroche le combiné.

-Oui?...ok... très bien merci...

Il raccroche et me lance:

Ma femme est là... je dois partir, je suis navré. Je vais finir de regarder les autres dossiers je vous rappellerai pour vous informer de ma décision. Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai déjà eu de très bonnes candidatures dont une qui m'intéresse particulièrement pour être franc, mais on ne sait jamais. Merci mademoiselle Serkind, content de vous avoir rencontré et de l'intérêt que vous portez à ce stage... je vous souhaite bonne chance pour vos études si l'on ne se revoit pas ...

Il me tend la main. Je la saisis. Je sais ce que tout ça veut dire. Je déteste me faire expédier comme ça... même si ce n'est pas voulu..

-Merci de m'avoir reçu... Bonne soirée.

-Bonne soirée à vous!

Je ramasse mon manteau alourdi par l'eau qu'il contient et mon sac. Je marche droit jusqu'à la porte. J'essaie tant bien que mal de ne pas fondre en larmes. Je continue sans me retourner. Je sors mon téléphone et compose le numéro de Jules. Ça sonne. Une fois. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Pas de réponse. Et merde !

Dehors, je retrouve la fraîcheur de la pluie. Le vent me glace les os illico. Le temps est toujours aussi pourri. Mon humeur n'arrange rien. Je marche comme un zombie sous la pluie. Vide. Jules ne répond toujours pas. J'ai besoin d'elle pour un super calin et pour manger un gros bol de céréales au chocolat. Pff

J'ai clairement compris que le stage ne serait pas pour moi... il pleut... je n'ai pas envie de retourner à la maison si je suis seule... j'ai envie de discuter avec mes parents mais je ne peux pas... j'ai besoin d'un peu de réconfort face à cette journée plus que pluvieuse. Je marche. Je marche. Je continue ma route...Jusqu'à ce que je comprenne que mes jambes sont entrain de prendre le chemin du musée.

Le Chef-d'œuvreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant