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Lui           

L'hiver s'est installé depuis plusieurs semaines maintenant, malgré la fraîcheur, quelques téméraires prennent leurs boissons chaudes sur la terrasse du café sous les rayons du soleil. J'en fais partie tout comme elle. Je ne peux m'empêcher de scruter chaque détail de son visage fin. Sa bouche pulpeuse, son nez parsemé de taches de rousseur qui lui donnent un côté enfantin. Mon regard se pose ensuite sur ses yeux d'un bleu si profond que même le saphir ne les égale pas. Ses joues sont recouvertes de quelques mèches de cheveux qui s'échappent de son bonnet blanc.

Elle est jolie.

Sa bonne humeur m'interpelle, quant à son sourire, je n'en ai jamais vu d'aussi beau. J'apprécie sa spontanéité, elle a cette façon de rire à gorge déployée sans se soucier des autres. Mais ce que j'aime par-dessus tout, c'est sa voix. Elle est d'une douceur infinie et je réprime, comme je le peux, les frissons qui tentent de m'assaillir à chaque fois qu'un mot franchit ses lèvres rougies par le froid. Cette fille a un effet sur moi, c'en est flippant, effrayant, terrifiant même.

Elle est insouciante.

Son téléphone émet cette petite sonnerie qui indique la réception d'un message, aussitôt son visage change d'expression, comme chaque fois qu'elle est sérieuse. Elle lève le doigt pour interrompre la discussion, puis tape frénétiquement une réponse avant de reposer l'appareil et de reprendre la conversation là où elle l'avait arrêtée. Rien ne la perturbe, même pas ce type assis à la table d'à côté qui la mate sans vergogne avec ce regard pervers. L'envie de le remettre à sa place me démange, mais je n'en fais rien, je continue de l'écouter avec attention. Je bois ses paroles comme si elles m'étaient destinées, je réponds mentalement à ses questions qu'elle ne me pose pas. Je souris quand elle fait une blague qui n'est pas drôle. L'humour ce n'est pas son truc, mais elle est attendrissante lorsqu'elle essaie de faire rire les autres.

Elle est innocente.

Cette fille éveille en moi quelque chose que je ne déchiffre pas. J'ai conscience qu'elle est heureuse et que je ne devrais pas avoir ce genre de pensées, mais c'est plus fort que moi. Je rêve qu'elle me voit, qu'elle me parle et partager son quotidien. Je l'ai dans la tête jour et nuit, je suis complètement obsédé par cette femme, pourtant je sais que je ne suis pas celui qu'il lui faut. Simplement parce que je serais incapable de la faire sourire comme l'homme assis à ses côtés. Pour elle, je ne suis qu'un inconnu et encore, je ne sais même pas si ses yeux se sont déjà posés sur moi. Alors, je me contente de l'observer à distance sans interférer dans sa vie. De toute façon, l'amour ce n'est pas pour moi, je suis bien trop cassé pour ça. De plus, je ne souhaite que son bonheur, rien d'autre.

Elle est belle à en crever, mais elle n'est pas avec moi.

Mon cœur s'emballe lorsqu'elle quitte sa chaise, mon instant de plaisir est terminé. J'enfonce un peu plus mon bonnet sur la tête avant de me lever pour m'éloigner du bar. Je passe près de son corps, ferme les yeux et respire l'effluve de son parfum. Une odeur si douce et enivrante, qui lui correspond à merveille. J'accélère le pas, refusant de la voir embrasser son mec trop parfait. Mais comme toujours, je ne peux m'empêcher de m'infliger cette souffrance. Alors, je me retourne une dernière fois et je n'aurais pas dû. Son petit ami enserre sa taille amoureusement tandis qu'elle passe ses bras autour de sa nuque. Un baiser digne d'un film romantique, tout ce que je ne pourrais jamais lui offrir. Ils s'écartent l'un de l'autre, puis elle part de son côté, et lui du sien. Je sais où elle va, ses cours commencent dans moins d'une demi-heure, elle est en dernière année à la fac où elle étudie les beaux-arts. Je n'ai jamais compris ce que les gens pouvaient trouver à ce genre de truc. Mais si elle aime, et bien je suis prêt à l'écouter me raconter l'histoire d'une toile, d'un tableau ou encore d'une sculpture dont je chercherai à quoi elle ressemble.

Je pourrai passer pour un cinglé, un psychopathe, et c'est sans doute ce que je suis au fond. Cependant, cette fille m'attire comment un aimant. J'ai beau tenter d'inverser les pôles, je ne peux m'empêcher de la rejoindre dans les endroits qu'elle fréquente, juste pour profiter de cette accalmie qu'elle offre à mon cœur.

Je me résigne enfin à la quitter et bifurque dans une ruelle non loin du bar. Je m'introduis dans le premier bâtiment, qui à une époque devait être chic et bien entretenu. Je grimpe les marches quatre à quatre jusqu'au dernier étage avant de pénétrer dans mon modeste appartement. Je claque la porte derrière moi, et reste planté comme un con dans l'entrée, mon regard examine le salon qui ne ressemble plus à sa fonction principale de détente. Des bouteilles de vodka jonchent le sol, tandis que des mégots de joint à peine terminés débordent d'un bol qui me sert de cendrier. L'odeur du cannabis et du tabac froid me foutrait la gerbe de si bon matins. Mais, je n'y prête plus attention. Je rejoins le canapé rempli de minuscules petits trous, et commence mon rituel de la journée, je ne fume jamais avant de la voir, je préfère rester clean afin de me souvenir de ses mots. En revanche après l'avoir quittée, je dois enchaîner deux joints pour être dans un état qui me convient et passer à autre chose.

Je m'attèle à ma tâche avec dextérité, tous mes gestes sont précis et instinctifs tant j'ai l'habitude. Avant d'allumer ce qui me fera vivre quelques instants d'évasion, je mets un fond de musique et je fume au rythme de la mélodie qui emplit les murs.

Une fois terminée, je file sous la douche dans un brouillard que je maîtrise à la perfection, avec les années les effets ne sont plus les mêmes. L'eau est tiède comme toujours dans cette bâtisse rongée par les rats, et la température intérieure laisse à désirer, mais je n'ai pas les moyens de trouver mieux. Du moins, je préfère dépenser mon argent ailleurs. J'enfile des fringues propres, chope mon paquet de clopes et ressors de chez moi sans prendre la peine de ranger un minimum.

Marcher me fait du bien et par chance mon job n'est pas loin de chez moi. Je jette mon mégot dans le caniveau avant de pénétrer dans le garage. Je file discrètement aux vestiaires, je suis à la bourre et si le patron me tombe dessus, je vais encore en prendre pour mon grade. Mais je la ferme quand il le fait, j'ai besoin de ce boulot. Pourtant à l'heure qu'il est, je devrais me trouver dans un cabinet en train de soigner une carie ou d'arracher une dent. Au lieu de ça, je répare des moteurs de bagnole plein de graisse.

Ouais, ma vie a pris un virage à trois cent soixante degrés il y a six ans, j'avais tout juste vingt ans.

Sombre DériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant