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Aliona

Depuis quatre jours, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je ne souris plus, ma joie de vivre a disparu et a été remplacée par la déprime. Je suis un vrai robot et j'effectue ma routine sans entrain. Je m'habille parce que je n'ai pas d'autre choix que de le faire, je me rends à la fac sans aucune motivation et je n'ai pas remis le nez dans la salle de sculpture pour terminer mon croquis.

Je filtre les appels de Cathy, ou quand j'y réponds, je prétexte que je suis débordée par mes projets. Je lui mens, chose que je n'ai jamais faite auparavant et je me sens honteuse. Je tire mon cahier à dessin vers moi et je commence à le couvrir de traits sombres et appuyés. Mes gestes sont de plus en plus rapides et incontrôlés, ma tension est telle que la mine cède sous la pression. Ma main claque sur mon bureau, ce qui me vaut quelques regards de la part des autres étudiants présents au cours d'histoire de l'art. Je me lève brusquement, remballe mes affaires, passe mon sac en bandoulière et quitte la salle sans un mot.

Mon bloc à dessin plaqué contre ma poitrine, je cours presque dans les couloirs, des larmes s'échappent de mes yeux au fil de mon avancé, et mon estomac se vrille de cette douleur que je ne connais que trop bien ces derniers temps. Je n'en plus, je n'y arrive plus. J'ai essayé de ne plus penser à lui, d'accepter qu'il ne veuille pas me parler, même si je n'en comprends pas la raison. Alex a ignoré tous mes messages, alors j'ai laissé tomber, mais c'en est trop. Il me manque, j'ai besoin de réponse et... je le veux tout entier.

Sans m'en rendre compte, mon subconscient m'a conduit dans la rue où se trouve le garage d'Alex. Je ralentis ma marche, essuie mes yeux et me dirige vers celui-ci. Je ne suis pas sereine, j'appréhende surtout sa réaction en me voyant débouler sur son lieu de travail. Je traverse le parking où sont garées plusieurs voitures, le rideau métallique de l'atelier est grand ouvert. Je prends une grande inspiration tout en observant le hangar, aucune trace d'Alex.

— Bonjour, Mademoiselle.

Je sursaute et tourne la tête vers cette voix. Un homme d'une trentaine d'années me dévisage de haut en bas tout en essuyant ses doigts incrustés de cambouis sur un chiffon. Il me met plutôt mal à l'aise.

— Vous venez chercher votre voiture ?

Je secoue la tête de gauche à droite pour lui signifier que non. Il se place devant moi en avançant son visage près du mien, alors que j'ai un mouvement de recul, lui ne bouge pas d'un poil.

— Donc t'as caisse t'as lâché et tu as besoin d'un dépanneur.

— Non, je cherche...

— Dégage, Greg, grogne une voix que je reconnaîtrais entre mille.

L'homme s'éloigne de moi et fixe Alex qui apparaît dans mon champ de vision.

— C'est ta nana ? demande-t-il un sourire en coin.

— C'est ça, donc n'y pense même pas.

— Oh, c'est bon, rétorque le fameux Greg avant de nous laisser seuls.

Alex ne m'a pas quitté des yeux un seul instant durant cet échange entre son collègue et lui, et mon cœur tambourine dans ma poitrine depuis qu'il a dit à celui-ci que j'étais sa copine. Je sais que c'est faux, mais pour la première fois, je voudrais que ce soit le cas. J'y pense depuis ces quatre longs jours sans nouvelles de lui.

— Qu'est-ce que tu veux ? rétorque-t-il sèchement.

Je suis surprise par son ton, mais je ne me démonte pas. J'ai atterri ici, certes par hasard, mais je n'en repartirai pas tant que je ne lui aurai pas dit ce qui me tourmente.

— Je...

Le stresse monte en moi, ce n'est pas dans mes habitudes de perdre mes moyens.

— Aliona, je bosse là. J'ai pas toute la journée.

— Oui, bien sûr. Pardon, je m'en vais.

Je fais volte-face, mais sa main attrape mon bras pour m'empêcher de partir.

— Pourquoi t'es venue ?

Sa voix s'est radoucie, pourtant les traits de son visage sont tirés et il semble fatigué. Alex hausse un sourcil pour m'inciter à répondre.

— Tu me manques, avoué-je.

— Toi aussi, mais crois-moi, c'est mieux ainsi.

Il me lâche, puis me tourne le dos et se dirige vers l'atelier. Je ne peux pas le laisser partir de cette manière.

Dis-lui Aliona, bon sang, dis-lui !

— Je te veux tout entier... moi aussi.

Il s'arrête, le temps semble s'être suspendu. J'attends qu'il se tourne, qu'il me dise que ce n'est pas trop tard. Je tiens à lui bien plus que je ne le voudrais, bien plus que je l'aurais pensé. Je n'avais pas imaginé que cela se produirait aussi vite après ma rupture avec Lenny. Alex finit par me faire face, mais il garde cette distance entre nous qui me met mal à l'aise. Son regard froid me fait regretter aussitôt mes paroles.

— Prouve-le-moi.

J'hésite, si je franchis ses quelques mètres qui nous séparent, cela officialisera notre relation. Le doute s'installe en moi, c'est pourtant ce que je veux, être avec lui et ses secrets. Mes pieds se mettent en marche, je resserre mon carnet à dessin contre moi. J'ai peur, j'appréhende ce qu'il se passera ensuite. Une fois à sa hauteur, je me mets sur la pointe des pieds et dépose mes lèvres sur les siennes. Nous nous fixons sans bouger, puis un de ses bras enserre ma taille tandis que sa langue s'immisce dans ma bouche. Je manque de défaillir tant c'est bon, tant ça fait du bien. Je sens les larmes couler le long de mes joues, puis il rompt notre baiser un peu trop rapidement à mon goût. Alex recule en passant une main dans sa chevelure tandis que j'essuie mes joues humides. Il ne fait aucun geste tendre vers moi, il reste distant et j'ai dû mal à le comprendre.

— On peut se voir ce soir ?

— Tu vas me questionner ? demande-t-il en crispant la mâchoire.

— Non, pourtant, j'aimerais que tu te confies à moi.

— Si je le fais, notre histoire n'aura même pas le temps de commencer, ajoute-t-il.

Je reste silencieuse devant ses mots. Je suis persuadée du contraire, mais je ne vais pas le forcer à me parler. Alex se renferme facilement sur lui-même, je prendrai le temps qu'il faudra. Mon but est de le voir sourire plus souvent. 

Sombre DériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant