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Aliona

            Pour la centième fois, je change mes tableaux de place. Je n'arrive pas à trouver comment les mettre en valeur. La lumière est pourtant idéale, mais cela ne me convient pas. Je suis nerveuse et cela joue sur mon organisation. Je recule de quelques pas afin d'avoir une vue d'ensemble, ce n'est pas trop mal. Je penche la tête sur le côté en examinant chacun des chevalets, lorsque la voix de monsieur Stene résonne dans mon dos.

— Ce portrait, tu devrais le mettre plus en avant.

            Mon regard se dirige sur le visage d'Alex, je l'ai terminé hier soir. Impossible pour moi de le laisser moisir au fond d'un tiroir et étrangement, le finir ne m'a posé aucune difficulté, bien au contraire. Quand le dernier coup de fusain a été donné, ma vue s'est brouillée et les larmes ont  , encore une fois pour cet homme écorché.

Après mon week-end avec Cathy, qui m'a fait le plus grand bien, j'ai eu besoin de régler ce qui était en suspens. Alors je me suis rendue chez Liam un soir, en compagnie de Cathy qui me suis comme mon ombre et comme toujours, sa maison était remplie de personnes se droguant ici et là. Il m'a accueillie avec un sourire gêné, et s'est excusé de ce qu'il avait fait. Je l'ai remercié de s'être occupé de moi, même si ce n'était pas de la meilleure façon qui soit, mais j'étais assez grande pour refuser. Il a juste profité de ma faiblesse pensant sans doute bien faire. Puis mon regard a croisé celui de Cole, il n'est pas venu me voir, il s'est contenté d'un signe de tête en guise de bonjour et rien de plus. J'ai, malgré moi, observé la pièce, mais je n'y ai pas vu Alex. Je me suis tout de même sentie soulagée d'avoir revu Liam et j'ai accepté ses excuses.

Ensuite, contre l'avis de Cathy, je suis allée au loft de Lenny. Je devais mettre les choses au clair avec lui une bonne fois pour toutes. Mais quand la porte s'est ouverte sur sa blonde siliconée, j'ai ri et j'en ai déduit qu'il était un éternel menteur et manipulateur. Quand le métis est apparu dans mon champ de vision, j'ai simplement secoué la tête de gauche à droite, avant de passer mon bras sous celui de Cathy et de quitter les lieux. Sans un mot, il n'en vaut définitivement pas la peine.

Après toutes ces mises au point, je me suis sentie mieux. Il ne me restait plus que le plus difficile d'entre eux, Alex. À plusieurs reprises, je me suis retrouvée devant son immeuble à la nuit tombée, mais chaque fois les lumières étaient éteintes. Puis, hier soir, je suis montée à son étage et lorsque j'ai sonné, la porte est restée définitivement close. Je m'apprêtais à rebrousser chemin quand un voisin est sorti de chez lui, pour m'informer que cela faisait plus d'une semaine qu'il ne l'avait pas vu. Je suis donc rentrée chez moi et c'est à ce moment-là que j'ai vidé mon tiroir et repris son dessin. Repensant à lui, assis dans ma voiture, riant aux éclats.

Un sourire triste étire mes lèvres, il me manque, mais c'est mieux ainsi. Notre histoire aura été quelque chose de beau malgré cette fin tragique. Sur les conseils de mon professeur, je mets plus en avant le visage d'Alex, il a raison, il mérite d'être la pièce maîtresse de mon exposition, il est beau avec ces deux facettes.

— Vous êtes prête Aliona ?

            Je me tourne vers mon parrain, qui a misé toute cette soirée sur mes œuvres et je croise les doigts pour qu'il soit satisfait des retours des visiteurs. Je ne suis pas la seule ce soir, nous sommes six à représenter la faculté, chacun avec celui qui l'accompagne. Monsieur Stewart est un homme sympathique et très distingué dans son costume trois pièces tout droit sortie de l'époque victorienne qui contraste totalement avec mon art abstrait.

— Oui, je crois.

— Tout ira bien, vous avez un talent fou. En revanche, le portrait...

            Il laisse sa phrase en suspens et j'ai peur qu'il n'apprécie pas que je sois sorti du thème. C'est le seul dessin au fusain de toute la galerie et il détonne complètement avec tout le reste.

— Je peux l'enlever, m'empressé-je de dire.

— Mon Dieu ! Hors de question, il est sublime. Je voulais juste vous informer qu'il était déjà vendu.

— Oh, mais...

            Je n'avais pas prévu de le céder, voulant le garder pour moi, et surtout je me demande qui a bien pu l'acheter, alors que les tableaux ont été mis en ligne seulement ce matin pour réservation.

— Vous pourrez toujours refuser l'offre, nous en discuterons lorsque l'acquéreur viendra ce soir.

            Je hoche la tête, si la réservation peut se faire en ligne, il est tout de même demandé aux potentiels acheteurs de se présenter à la galerie afin d'en confirmer l'achat. Voir une peinture sur un écran d'ordinateur et en vrai est complètement différent. Monsieur Stewart prend congé, m'informant qu'il s'éclipse avec les autres parrains afin de faire le tour de chaque élève.

            Monsieur Stene m'abandonne à son tour, et je suis soulagée de voir la tête blonde de Cathy tout sourire. Je vais à sa rencontre, puis me jette dans ses bras, si elle n'avait pas été là ces derniers jours, je ne sais pas comment j'aurais fait. Elle a dû gérer mon stress, mon manque et mes larmes.

— Alors ma chérie, prête à tous les faire tomber ?

— Oui, plus que prête !

            Nous discutons, tandis que les visiteurs emplissent la salle. Un verre de champagne à la main, je sens que l'on me retire celui-ci. Je me tourne et tombe nez à nez avec mon père. Trop heureuse de le  , je ne peux m'empêcher de pousser un petit cri et sauter dans ses bras. Puis, je me détache de lui et constate qu'il a sorti le costume, sans la cravate, pour l'occasion.

— Comment vas-tu, ma puce ? demande-t-il en déposant un baiser sur ma tempe.

— Très bien !

            Je n'ai rien dit à ma famille de ce que j'ai vécu dernièrement et ils n'en sauront jamais rien. Mon regard se porte sur une femme élégamment habillée, ma mère, qui s'est mise sur son trente-et-un dans une magnifique robe de soirée rouge. Je lui réserve le même accueil qu'à mon père.

            La soirée se déroule plutôt bien, quelques personnes sont intéressées par mes toiles et surtout le portrait d'Alex qu'elles trouvent réaliste et original. J'aurais pu le vendre dix fois, voire même plus, et à un prix exorbitant. Je ris en voyant Cathy qui joue les vendeuses, et je surprends à plusieurs reprises, mon père chuchotant à l'oreille de ma mère qui glousse comme une ado. Je les soupçonne de se fréquenter à nouveau, et la discrétion de mon père est vraiment à revoir lorsque sa main glisse sur les reins de son ex-femme. Je lève les yeux au ciel en souriant.

— Aliona, murmure Cathy à mon oreille en me filant un coup de coude dans les côtes.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je en me tournant vers elle.

            Elle me fait un mouvement de tête en direction de l'allée, je porte mon regard dans celle-ci et mon cœur s'arrête de battre.

            Il est là. Alex est là, accompagné d'un homme plus âgé, ils se dirigent tous les deux vers moi. Nos regards s'accrochent, mes jambes me tiennent à peine et je pense tout simplement rêver. Alex est différent, physiquement du moins, il a repris du poids, des couleurs et il semble beaucoup moins fatigué. Ce contraste avec celui que j'ai connu est saisissant.

            Arrivée à ma hauteur, je lève les yeux vers lui et ce que j'y vois me fait frissonner. L'éclat dans ses pupilles est toujours présent, j'ai envie de pleurer, de le prendre dans mes bras, mais aussi de le rejeter, de lui dire qu'il m'a fait du mal tout comme je lui en fais.

— Salut, Ali.

            Sa voix douce et sensuelle à raison de moi et je ne retiens plus les larmes qui glissent sur mes joues. Il est bien réel, il est venu, il n'a pas oublié, car inutile de me voiler la face, au fond de moi, j'avais espéré qu'il se rende à l'exposition.

Sombre DériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant