Alex
Une vraie prison, cet endroit. Interdiction de passer un coup de fil, d'ailleurs, je n'ai pas mon téléphone avec moi. Aucun contact avec l'extérieur et je ne parle même pas des rendez-vous obligatoires avec ce psy complètement perché. On ne me fera pas croire qu'ils ne se shootent pas eux, à écouter la vie des autres sans perdre la tête, j'ai du mal à y croire. Avec moi, il est servi, je ne parle pas. Il a tenté d'aborder le sujet de ma mère ou encore de l'ex-pute de mon père, mais ça ne le regarde pas et il peut aller se faire foutre pour que j'ouvre la bouche.
Durant les premiers jours dans ce centre, où les autres sont encore pires que moi, j'ai fait la connaissance d'un gars à la peau tellement trouée par les seringues qu'il pourrait faire office de passoire. Ce mec se piquait jusqu'entre les orteils, un truc de dingue. Je suis un débutant à côté et je me demande vraiment ce que je fous ici. Puis quand les crises de manque apparaissent, je me souviens pourquoi je suis cloitré dans cette forteresse aux murs blancs. Pour m'en sortir. Pour Aliona, car j'ai espoir, en sortant d'ici, que je pourrai la retrouver et lui expliquer les choses telles qu'elles se sont déroulées.
Je dépose mon plateau-repas sur le chariot près des cuisines, et file dans le jardin à l'arrière de la bâtisse. J'ai besoin de prendre l'air et depuis quelques jours, le temps est doux et agréable. Je m'installe le cul dans l'herbe contre ce grand chêne, qui doit bien être centenaire, et ferme les yeux. L'appel de la clope se fait ressentir, je crois que finalement, c'est le plus difficile, car c'était vraiment une habitude de fumer après un repas. J'aimais bien tirer une latte, et laisser la fumée s'échapper de mes narines ou encore d'entre mes lèvres. Puis ce vice, car c'en est un aussi, me permettait de tenir le coup jusqu'à mon prochain pétard.
Mes mains tremblent légèrement rien que de penser à un joint. Le manque arrive, il court dans mes veines, dans chaque pore de mon épiderme qui frémit en imaginant le bien que cela me procurerait de tirer une taffe de ce poison. Ma respiration se fait plus courte, mon estomac se tord, ces désagréments me suivent depuis le premier jour de mon entrée ici et d'après les spécialistes, ils finiront par se dissiper. Parfois, j'en doute, car c'est bien ancré en moi. Les différents spécialistes m'ont prévenu que j'en avais pour minimum trois mois et que même, une fois sorti d'ici, je devrais continuer à être suivi, que rien ne serait gagné et que tout dépendrait de moi, de mon envie de m'en sortir.
Si mes journées ne sont pas roses, arrivées le soir, c'est encore pire. Je résiste et lutte chaque heure jusqu'à ce que j'éclate et vrille. Le calme revient uniquement lorsque le personnel de nuit me file une petite pilule qui me permet de fermer les yeux pour au moins neuf heures. Le matin au lever, je suis d'une humeur de chien, les autres m'évitent dans la salle de détente tant je suis renfrogné. Apparemment, c'est normal, cela fait partie du sevrage. Mes excès de colère m'effraient moi-même, car je n'ai pas un tempérament violent ou virulent, je suis plutôt calme et j'ai peur de rester ainsi en quittant ce lieu.
Aujourd'hui, la pluie et son ciel noir, chargé de nuage s'ajoutent à ma mauvaise humeur quotidienne. Je ne peux pas sortir, je tourne comme un lion en cage alors, je me réfugie dans la salle commune, je me laisse tomber dans un fauteuil face à la télévision et comate devant un film à l'eau de rose que les femmes ont mis. C'est nul et complètement con, mais je n'ai aucune envie de participer aux activités organisées, je ne suis pas en maison de retraite.
— Snively ! tonne la voix du psy dans la salle.
S'il y a bien un truc dont j'ai horreur, c'est que l'on m'appelle par mon nom de famille, c'était bon au lycée, cette méthode. Je soupire en tournant la tête vers l'homme chauve. Ses yeux, sous ses lunettes carrées, m'intiment de me lever pour le suivre jusqu'à son cabinet. Mais aujourd'hui encore plus que les autres jours, je n'ai pas envie d'écouter son monologue durant une heure. Cependant, je n'ai pas le choix, il est ma principale porte de sortie, même si je ne dis rien sur tout le mal qui me ronge depuis six ans. Je vais bien devoir finir par lui révéler ce que j'ai sur le cœur à un moment donné.
Je quitte le confort du fauteuil pour rejoindre crâne d'œuf dans son antre aux couleurs psychédéliques. Lui s'installe sur son éternel siège en cuir noir, usé à force de poser son cul dessus depuis des années, tandis que je m'allonge sur la méridienne orange. Je hais cette couleur. Je prends mes aises comme dans mon lit en croisant mes bras derrière la tête et je fixe le plafond qui n'est pas tout à fait blanc, je pencherai pour un ton crème ou gris très clair qui contraste avec les murs, verts et jaunes.
— Êtes-vous enclin à la discussion aujourd'hui ?
— Le pain était rassis ce matin, c'est celui d'hier ? lancé-je pour me foutre de lui.
— Alex, si vous n'y mettez pas du vôtre...
— Mon séjour risque de se prolonger, je sais, le coupé-je.
Je me redresse pour m'assoir face à cet homme. Il veut que je parle, pas de soucis.
— Je veux une autorisation de sortie.
— C'est impossible, nous en avons déjà discuté.
— C'est ça ou je ne vous parle pas de ce qui a cramé mon cerveau pour que j'en arrive à me droguer.
— Le chantage ne fonctionne pas, répond cette tête de mule.
— Tant pis, je resterai ici jusqu'à ce que vous me foutiez dehors tellement vous en aurez marre de voir ma gueule, renchéris-je en me rallongeant.
Le silence se prolonge, il n'ouvre plus la bouche et si je reste les trente minutes restantes ainsi, ça me convient. Par contre, la pendule accrochée au mur va me rendre fou, l'aiguille des secondes résonne dans mon crâne et je vais finir par la balancer. J'essaie de me focaliser sur autre chose, mais en vain, le tic-tac me casse le crâne.
— On a terminé ? demandé-je, impatient de quitter cette pièce.
— Pourquoi tenez-vous tant à cette autorisation de sortie et précisément ce mercredi ?
Parce que c'est l'exposition d'Aliona et la voir dans son élément est important pour moi. Je n'irai pas l'importuner, je veux juste qu'elle voie que je suis présent pour ce jour qui compte beaucoup pour elle. Elle joue son avenir et même si je ne comprends pas toujours ses toiles, elle a du talent et elle mérite que quelqu'un s'intéresse à ce qu'elle fait.
— C'est essentiel que je puisse sortir ce soir-là, juste quelques heures en début de soirée.
Je tourne la tête vers lui, il tapote son menton avec son stylo tout en réfléchissant.
— Si j'accepte, vous me promettez de me raconter ce qu'il s'est passé dans votre vie ?
— Je vous le promets.
— Interdiction de fumer quoi que ce soit, de boire et encore moins d'inhaler une poudre quelconque. Nous ferons une prise de sang à votre retour au centre pour nous en assurer.
— Rien de tout ça, je vous le jure. Vous êtes d'accord ?
— Je dois en discuter avec l'administration, en revanche, votre père vous collera tout le temps de votre sortie.
— Pas de soucis.
Crâne chauve tend sa main vers moi, et je m'empresse de me lever pour la serrer. Un léger sourire étire mes lèvres. Je vais la voir, mon cœur s'agite dans ma poitrine, et je suis pressé d'être à mercredi.
Je sors du bureau avec une excitation nouvelle, celle de croiser le regard saphir de celle que j'aime plus que tout. J'ai bien conscience que cela ne changera sans doute rien quant à ce qu'elle pense de moi, mais au moins elle remarquera que je suis présent, que je ne l'ai pas abandonnée en ce moment important.
Je regagne la salle commune, puis je reprends ma place dans le fauteuil, perdu dans mes pensées. Pour une fois, elles ne sont pas sombres et mauvaises, non, elles sont apaisantes et je visualise parfaitement le visage souriant d'Aliona, ses yeux bleus pleins de vie, son sourire qui me rend fou et ses cheveux lâchés comme je les aime. Je ferme les paupières, fais abstraction de ce qui m'entoure pour me focaliser que sur cette femme qui a changé ma vie à jamais.
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Sombre Dérive
RomanceLui, tente de survivre dans un monde qui ne lui appartient pas, mais dans lequel il a trouvé la paix. L'alcool et la drogue sont les maîtres-mots de son quotidien pour tenir le coup chaque jour. Il ne lutte plus depuis longtemps. Elle, se consacre à...